7 mars 2013 4 07 /03 /mars /2013 07:27

 

Voici venir l'arbre, c'est l'arbre

de l'orage, l'arbre du peuple

Ses héros montent de la terre

comme les feuilles par la sève,

et le vent casse les feuillages

de la multitude grondante,

alors la semence du pain

retombe enfin dans le sillon.

 

 

Voici venir l'arbre, c'est l'arbre

nourri par des cadavres nus,

des morts fouettés et estropiés,

des morts aux visages troublants,

empalés au bout d'une lance,

recroquevillés dans les flammes,

décapités à coups de hache,

écartelés par les chevaux

ou crucifiés dans les églises. 

 

Voici venir l'arbre, c'est l'arbre

dont les racines sont vivantes,

il a pris l'engrais du martyre,

ses racines ont bu du sang,

au sol il a puisé des larmes

qui par ses branches sont montées

parsemant son architecture.

Elles furent fleurs, quelquefois

invisibles, fleurs enterrées,

d'autres fois elles allumèrent

leurs pétales, comme des planètes. 

 

 

Et l'homme cueillit sur les branches

les corolles aux parois durcies,

il les tendit de main en main

tels des magnolias, des grenades,

et brusquement, ouvrant la terre,

elles grandirent jusqu'au ciel.

 

C'est lui, l'arbre des hommes libres ;

L'arbre terre, l'arbre nuage.

L'arbre pain, l'arbre sarbacane,

l'arbre poing, l'arbre feu ardent.

Inondé par l'eau tempétueuse

de notre époque des ténèbres,

son mât décrit dans le roulis

les arènes de sa puissance. 

 

 

D'autres fois la colère brise

les branches qui tombent à nouveau

et une cendre menaçante

couvre sa vieille majesté :

ainsi franchit-il d'autres temps

et sortit-il de l'agonie,

jusqu'au moment où une main

secrète, des bras innombrables,

le peuple, en garda les fragments

et cacha des troncs immuables.

Ses lèvres étaient alors les feuilles

de l'immense arbre réparti,

disséminé de tous côtés,

qui marchait avec ses racines.

Voici venir l'arbre, c'est lui

l'arbre du peuple, tous les peuples

de la liberté, de la lutte.

 

Montre-toi dans sa chevelure :

palpe ses rayons restitués :

plonge la main dans les usines,

là même où son fruit palpitant

chaque jour répand sa lumière

Lève dans tes mains cette terre,

unis-toi à cette splendeur,

emporte ton pain et ta pomme,

ton cœur aussi et ton cheval

et monte la garde aux frontières,

aux confins de sa frondaison.

 

 

Défends le but de ses corolles,

partage les nuits ennemies

veillant au cycle de l'aurore,

respire la cime étoilée,

en protégeant l'arbre, cet arbre

qui pousse au milieu de la terre.

 

 

 

Pablo Neruda

Chant Général

Traduction de Claude Couffon

Gallimard, 1977

 

 

 

 

 

                       

 

 

 

Los libertadores

 

 

Aquí viene el árbol, el árbol

de la tormenta, el árbol del pueblo.

De la tierra suben sus héroes

como las hojas por la savia,

y el viento estrella los follajes

de muchedumbre rumorosa,

hasta que cae la semilla

del pan otra vez a la tierra.

 

Aquí viene el árbol, el árbol

nutrido por muertos desnudos,

muertos azotados y heridos,

muertos de rostros imposibles,

empalados sobre una lanza,

desmenuzados en la hoguera,

decapitados por el hacha,

descuartizados a caballo,

crucificados en la iglesia.

 

Aquí viene el árbol, el árbol

cuyas raíces están vivas,

sacó salitre del martirio,

sus raíces comieron sangre

y extrajo lágrimas del suelo:

las elevó por sus ramajes,

las repartió en su arquitectura.

Fueron flores invisibles,

a veces, flores enterradas,

otras veces iluminaron

sus pétalos, como planetas.

 

Y el hombre recogió en las ramas

las caracolas endurecidas,

las entregó de mano en mano

como magnolias o granadas

y de pronto, abrieron la tierra,

crecieron hasta las estrellas.

 

Éste es el árbol de los libres.

El árbol tierra, el árbol nube,

el árbol pan, el árbol flecha,

el árbol puño, el árbol fuego.

Lo ahoga el agua tormentosa

de nuestra época nocturna,

pero su mástil balancea

el ruedo de su poderío.

 

Otras veces, de nuevo caen

las ramas rotas por la cólera

y una ceniza amenazante

cubre su antigua majestad:

así pasó desde otros tiempos,

así salió de la agonía

hasta que una mano secreta,

unos brazos innumerables,

el pueblo, guardó los fragmentos,

escondió troncos invariables,

y sus labios eran las hojas

del inmenso árbol repartido,

diseminado en todas partes,

caminando con sus raíces.

Éste es el árbol, el árbol

del pueblo, de todos los pueblos

de la libertad, de la lucha.

 

Asómate a su cabellera:

toca sus rayos renovados:

hunde la mano en las usinas

donde su fruto palpitante

propaga su luz cada día.

Levanta esta tierra en tus manos,

participa de este esplendor,

toma tu pan y tu manzana,

tu corazón y tu caballo

y monta guardia en la frontera,

en el límite de sus hojas.

 

Defiende el fin de sus corolas,

comparte las noches hostiles,

vigila el ciclo de la aurora,

respira la altura estrellada,

sosteniendo el árbol, el árbol

que crece en medio de la tierra. 

SG

 

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Sylvie Gaté