Ce matin même, il a neigé des duvets d'arbre
Nous nous sommes hélés sans nous apercevoir.
Aurions-nous abordé l'autre vie par mégarde ?
Nulle césure dans le temps ne se remarque
Sinon ce brouillard de neige dans le miroir.
Une légèreté de souffle inhabituelle
Quelques bouffées d'air comme des mains sur nos fronts,
Parfois les duvets d'arbre ont des glissements d'ailes.
On dirait que le ciel dans l'aube se craquelle
Profilant un halo de terre à l'horizon.
D'aucuns prétendent que nous avons atteint l'île.
D'autres jurent par Dieu que ce sont jeux du vent
Nous incitant à transfigurer l'invisible :
Fantasmes qui, au gré de l'illusion, défilent
Dans un chassé-croisé des morts et des vivants.
Plus je vais, plus je crois au commerce des âmes :
Ébauche d'un dialogue en dialecte inconnu
Que l'on saisit par un crépitement des flammes,
Par un rire de l'eau, un silence des larmes,
Ces passeports de Dieu que le chant restitue.
C'est un peu tout cela l'approche du poème
Une navigation mystérieuse en plein jour.
La découverte d'un vocable qui vous mène
De dérive en dérive aux confins de soi-même,
Là où il faut bien en appeler à l'amour.
Orgueil et reddition des corps quand l'âme cède
Au plaisir partagé de l'offrande du cœur
Pour un ressourcement panique de la gerbe
En cette assomption de la vie qui s'apprête
À répondre aux aveux d'une charnelle ardeur.
Il a suffi d'un duvet d'arbre pour que naisse
Dans nos regards l'éclat d'un printemps ébloui.
Aurions-nous oublié que glisse la jeunesse ?
Mais voulant mériter le fruit de nos promesses
Nous maintenons le cap au devant de la vie.
Jean Laugier
Les Navires du Temps
Éditions Caractères, 1989