Vaguement étranges, obscènes un peu,
Atteints d'une maladie d'épaisseur,
Eléphantiasis phallique.
Mais tourmentés, figés
Dans leurs gestes trop courts,
Leurs palmettes de feux d'artifice
N'illuminent rien
Que l'abîme de leur tronc caverneux,
Où la fibre se noue
Sur une sécheresse sublime,
Une prodigieuse endurance, qui
Fabrique de la sève avec rien,
Avec une goutte de vapeur
Sans existence.
Figés dans leur errance,
Comme un troupeau d'éléphants
Qui aurait pris racine,
Ils en ont l'écorce grise et rude,
Ils ne sont dans cette savane
Qu'un prétexte, une présence
Insolite, trouant le paysage austère,
Faisant semblant d'être des arbres.
Ils cherchent leur route.
Arrachée la tête, il reste debout
Et ses bras suffisent à exprimer une indifférence
Superbe aux ravages des tornades.
Combien en ai-je vus de ces mutilés
Qui prolongent une existence pathétique
Au bord des routes où leur geste rompu
Indique encore la grandeur de ce qui fut.
D'autres bourgeonnent sans feuille
Comme si un accès de sève s'était durci
Au lieu de s'épanouir
Et le gonflement insolite des rameaux fibreux
Ressemble à des moignons terribles
Qui se voudraient des branches.
D'autres encore, fabriquent comme au hasard
Une abondance de tiges minces
Comme un bouquet qui aurait perdu ses fleurs,
Des féeries de jadis, l'image sans couleur.
Dans la caverne, fracture, sommeillent
Des espoirs béants, l'aventure
Est de descendre au fond du tronc
Éclairé par les candélabres des branches.
Où est l'abîme et l'eau profonde ?
Les bras du baobab
Ne t'empoigneront pas pour un départ secret.
Le conte est fini, ces gros bras d'hercule de foire
Gonflés de soupe se couvrent de poussière.
L'aventure d'Adam,
Le jardin des Hespérides s'éloigne,
Toi seul, au fond de toi, tu peux connaître l'ombre
Des labyrinthes, et la convulsion des branches
Reste, le signe à retrouver, l'écriture, la fixation
D'une parole ancienne ouvrant l'abîme et l'eau profonde
Sous l'écorce.
Il y avait en lui cette grandeur,
Cette ampleur, cette force noueuse
Qui soulève les branches, qui déplie les rameaux,
Enfonce les racines au plus profond,
Cet effort, éclatement, explosion jusqu'au ciel.
Il y avait en lui cette courbure,
Cette jointure qui arrondit le bois
Et qui lisse le tronc,
Il y avait en lui la création d'un monde.
Il est là, épaissi, un peu grotesque,
Enlisé dans sa force comme un buffle pétrifié,
Un éléphant qui ne sait plus à quoi bon la forêt
Et le bon goût des feuilles.
René Ferriot
50 Ans de Poésie
France Europe Éditions, 2003