Quand le cœur de la nuit se fait mou, le platane,
fatigué par la terre, éprouve le besoin,
soit de voler à la manière des cigognes
par-dessus les maisons, le fleuve, la forêt,
soit de nager – le vertige est alors plus fou –
comme fait le requin dans son profond royaume.
Lentement, il déploie ce que l'instinct lyrique
peut appeler son aile et même sa nageoire.
Il saute, il court, il plane, il vole, il est plus libre
que l'air ou l'eau, il est heureux comme quelqu'un
qui a joué un mauvais tour à sa nature.
Il va de soi qu'à l'aube il reprend ses racines,
ses branches, son écorce, et se dit satisfait
de son sort : un platane aussi sot qu'un platane.
Alain Bosquet
Notes pour un pluriel
Gallimard, 1974