Voyez-vous, disait un pommier
Aux arbres de son entourage,
Quand le fruit sous son poids le forçait à plier,
Voyez-vous comme on vient ici me rendre hommage ?
Je vois arriver tour à tour
Le maître du jardin ainsi que la maîtresse
Enfants et valets, tout s’empresse
Soir et matin à me faire la cour,
Il n’est, ma foi, rien tel que la richesse,
Pour avoir grand nombre d’amis.
Voisin, je suis de votre avis,
Lui dit un vieux poirier ; mais attendez, de grâce,
Qu’à l’hiver l’automne ait fait place,
Et de cette amitié vous connaîtrez le prix.
La réflexion était bonne ;
Car dès qu’on eut cueilli le fruit,
Adieu maître, maîtresse, enfants, valets, tout fuit,
Le pommier resta seul et ne vit plus personne.
Etonné de ce changement,
On ne m’aimait donc pas, dit-il en soupirant,
Et l’on n’en voulait qu’à mes pommes ?
Oui, lui dit le poirier, vous ne vous trompez point.
Mais, pour vous consoler, sachez que sur ce point,
Comme vous on traite les hommes.
Ils ont beaucoup d’amis tandis qu’ils sont heureux ;
Dès qu’ils ne le sont plus, chacun s’éloigne d’eux.
Abbé Reyre, fin du XVIIIè siècle