Pour Nédime, poète d'Istamboul
L'arbre dans l'eau est un cyprès d'argent
que l'on contemple la nuit tout son soûl
Les jeunes femmes au corps blanc luisant
sont des bouleaux tristes et nostalgiques
qu'aima Essenine de Riazan
Un peuplier frissonne en moi
Depuis que je suis en exil
j'écoute sans cesse sa voix
Toujours debout durant toute sa vie
Comme tout autre arbre le peuplier
Au long du temps semble être une vigie
Surveillant les routes comme un pylône
De l'Anatolie guettant les villages
Dans les jours d'été couleur d'ocre jaune
Il m'a surveillé moi aussi
Installé devant ma prison
Et criant au cœur de la nuit
Témoin des péchés, des souffrances
Témoin de tous nos jours perdus
Et témoin de notre espérance
Il fut le témoin de nos poux
Le témoin de notre labeur
Oh ! peuplier, sacré filou !
Louer les peupliers d'un sol fertile
Ou même les aimer tout simplement
Ô mon pays à quoi cela sert-il ?
Sur la terre noire j'étais ployé
Et j'essuyais la sueur à mon front
Je n'ai pu planter un seul peuplier.
Stockholm, 9 mai 1956.
Nazım Hikmet
Anthologie poétique
Traduction de Hasan Gureh
Temps Actuels, 1982