Palmier planté sur la dernière rampe
Du jardin de la vie et qui, levant
Tribut sur le désert et sur le vent,
Risques ta plume et piques loin ta hampe,
Arbre de gloire, ô dernier des vivants !
Seul habitant des limites dernières ! —
Il n'est plus de moissons, plus de maisons,
Plus rien ici ne respire et n'espère,
Que le palmier debout sur l'horizon
Et par-delà, tout se tourne en lumière.
Tout se dissipe en une poudre d'or,
Se change en rose et suave nuage
Où le regard glisse et le rêve nage,
Mais pour tel qui s'y rend avec son corps
Tout se fait roc, cendre et braise de mort.
Comme un crachat au vent du précipice
Éclate et sèche avant de toucher fond,
Ainsi la chair de l'homme souffre et fond
À la clarté que savent ceux qui vont
Chercher en Dieu de terribles délices.
Désert, enfer et ciel d'un seul métal !
Après les prés de quartz et d'améthyste,
Après l'éclat des forêts de cristal,
Troncs de basalte et feuillages de schiste
Jaillis verdure, espoir des longues pistes !
Aux assoiffés de ce pays trop pur
Parfois paraît le palmier du mirage
Pour leur promettre un céleste breuvage
Où la raison s'incline et fait naufrage,
Et tout un lac de mensonge et d'azur.
Le palmier vert et vrai loue et salue,
Cri d'allégresse et tumulte de mains,
L'homme qui rentre au règne des humains,
Échappé vif aux splendeurs absolues
Des lumineux et minéraux chemins.
Prix du retour, ô murmure sans nombre,
Largesse d'un peu d'ombre et d'un peu d'eau ! —
Entre le feu du jour et la molle ombre
Entre l'air sec qui flambe et l'eau qui sombre,
Tiens la balance, arbre, pont et rideau !
Entre la vie en fuite et la colonne
De l'immobilité, dans ton réseau
Maintiens le vol d'un éternel oiseau.
Entre fraîcheur et flamme, ton biseau
Brise le jour et ton ombre rayonne.
Entre grâce et douleur la corde tends,
Beau corps bâti de nœuds et de coupures !
Aux souffles hauts ta harpe chante, un temps,
Et puis la palme à la noble courbure,
Douceur d'hier, tombe et te vêt de bure.
Comme le cep craquant de vin futur,
Comme l'épi qui hérisse la gerbe,
Sans indulgence vaine et sans superbe
Portant le dur secret jusqu'au fruit mûr,
Fier comme un chêne et simple comme une herbe,
Ton cœur d'écaille explose en un vert jet,
Arbre de gloire, et ce plumet léger
Cache ton miel et l'huile de tes moelles.
Ta tête d'astre est un panier chargé.
Le fruit descend du centre de l'étoile.
1946.
Lanza del Vasto
Le chiffre des choses
Denoël, 1972