Elle est debout sous le grand chêne,
Sous le grand chêne de trente ans.
Des rameaux de rouge verveine
Enlacent ses cheveux flottants.
Dans la forêt aux noirs ombrages,
Règne le silence sans fin.
Les bardes chantent ; les eubages
Vont tendre leur nappe de lin.
Longtemps l'écho des chants suprêmes
Vibre après que le chant s'est tu,
Et les luths résonnent d'eux-mêmes,
Le rameau spectral abattu.
De larges coupes sur le chêne
Versent le sang du taureau blanc ;
Mais la victime, dans sa peine,
Pousse un triste gémissement.
Devant le sinistre présage,
La prêtresse parle au destin.
À l'horizon gronde l'orage ;
Il faut un sacrifice humain,
Un sacrifice volontaire.
Celui qui vient est jeune encor.
Il veut que son sang sur la terre
Soit versé par la serpe d’or.
Debout sous la nuit effrayante,
Comme il était beau pour la mort !
Qui donc te fit, ô mort sanglante,
Mort des martyrs, le plus beau sort ?
La druidesse frémissante
Se frappe de la serpe d'or,
Et près de lui tombe expirante,
Au cœur s'étant frappée encor.
En talisman sur les poitrines,
Dans la Gaule des anciens jours
Avec le genêt des ravines
Leur cendre le portait toujours.
C'était le temps où tout esclave
Se levait contre les Césars,
Le temps où la Gaule était brave
Et rassemblait ses fils épars.
Ô nos pères, fiers et sauvages,
Bien lourd est donc votre sommeil !
Pères, n'est-il plus de présages ?
N'avons-nous plus de sang vermeil !
Vous qui vous armez, pourquoi vivre ?
L'amour est plus fort que la mort
Ne faut-il pas qu'on se délivre ?
Heureux ceux que marque le sort !
L'hymen centuple les entraves.
À ce Tibère aux yeux sanglants
Il donne de nouveaux esclaves.
Ne soyons pas des combattants.
Amis, il fait bon sous les chênes ;
Les chênes gardent le serment
Ou des amours ou bien des haines
Sur les guis aux gouttes de sang.
Louise Michel
À travers la vie et la mort
Maspero, 1982