J'ai dévalé la fosse d'angoisse. En plein brouillard. Je n'ai pas trouvé la mort. Mais depuis longtemps déjà, le cortège des couleurs a déserté ma vue, ma mémoire et mon rêve.
Peut-être que nul village ne m'attend. Je n'en poursuis pas moins ma route. Il n'est pas encore temps d'arrêter. Une obscurité s'obstine, à l'intérieur comme à l'extérieur. Le vent dur du désespoir souffle, d'une rafale continue. Les jambes sont seules. Elles marchent.
J'ai perdu la trace de mes compagnons. Peut-être se sont-ils arrêtés de marcher ? On ne voit rien.
L'obscurité va-t-elle s'atténuer, ou bien vais-je continuer de tomber — terriblement plus bas — dans un puits sans fond ?
Toujours la même rafale de vent dur.
Un jour, celle qui fut l'aimée me donna pour souvenir quelques rameaux d'un bosquet, si vifs que je n'avais qu'à les toucher pour qu'un soleil soudain s'embrase, même au cœur de la nuit. Je les ai toujours dans ma poche.
Avec le temps, les rameaux ont certainement fané ; ils ressemblent peut-être à la touffe de poils gris d'une vieille. Je me garde pourtant bien de les sortir de ma poche et de déplier le papier qui les enveloppe — de peur de les lâcher dans mon aveuglement, et de les voir emportés par le vent.
Ma pierre philosophale est ce bosquet. Inextricablement liés, ma vie et ses rameaux font un même fagot dans le feu — qu'attise un souffle ardent de mort. |
Lokenath Bhattacharya
Corps effleuré de l'aimée
Traduit du bengali par l'auteur et Cédric Demangeot
Illustré par Maziar Zendehroudi
Éditions Fata Morgana, 2001