Il y a peut-être des spectres de sapins dans mon écriture écolière. Et de bleus éclairs de schiste. Il y a mon pays, bien caché, bien couché dans mes hottes de mots attentifs à composer d'autres paysages. Il y a mon pays, mon enfance dans le pays de mes mots. Les mots de mon pays sont aussi d'ailleurs, ils sont en route vers d'autres horizons. Ils vont trébuchants, aveugles. Vers quoi ? Ils n'ont pas de patrie, les mots de ma langue maternelle. Ma langue maternelle, c'est ma mère. Et ma mère, depuis sa mort, depuis mon enfance, est en voyage. Ma mère avait dans les yeux des couleurs mauves de schiste et de sapin. Elle s'en est allée avec ces yeux-là vers d'autres couleurs, vers un autre parler. Ma mère est une jeune femme qui jouait du piano le dimanche, pour deux ou trois arbres et quelques oiseaux (je m'en souviens). Et aujourd'hui elle marche dans une grande forêt et fait une musique étrange avec de très hauts oiseaux (je l'entends). Et mon écriture, avec ses petites aiguilles de schiste et de sapin, est un peu dedans. Elle qui n'est de nulle part. Elle qui sera toujours une petite orpheline boiteuse. |
André Schmitz
Poésie 1990
L'Atelier Imaginaire