Arbres complaisants, sachez
Que cette heure d'avant l'aurore
Est du lever de ma clarté :
Car je mets ma terre à l'essor,
Ne pouvant plus la transporter.
Je la tiens serrée sur mon cœur,
Elle risque trop d'éclater
Comme font les chardons sauvages.
Vous verrez les seuls spectateurs
D'une cérémonie si grave ;
Étouffez les brises narquoises,
Je ne suis pas un magicien
Qui veut défier le divin.
Longtemps ! ah ! bien longtemps avant
Que ne tressaille mon envie
De confier ce monde aux vents,
Je vous connaissais en taillis ;
J'ai vu vos infimes naissances,
Et jamais je n'en ai souri ;
Comment vous jetiez vos semences
Et comment vos amours ont pris
Très doucement, presque à votre ombre :
J'y ai deviné mon destin.
Laissez-moi donc lancer ce monde
Parmi tous les mondes divins.
Il est une nouvelle étoile,
Un astre de plus dans l'amour !
Je le regarde qui s'éloigne,
Il vacille sur son parcours,
Et je redescends dans mes bois :
Ce ne sont plus les mêmes arbres,
Les mêmes yeux qui me regardent,
Ni le temps, ni le mal de moi...
Patrice de La Tour du Pin
La Quête de joie
suivi de Petite somme de poésie
Gallimard, 2001