Viens dans la forêt, viens dans les ténèbres frater-
nelles. Viens, je cueillerai pour toi les fleurs qui te res-
semblent, les fleurs nocturnes qui recèlent de subtils
poisons.
Je parerai tes cheveux lunaires de fleurs d'aconit, de
digitale et de belladone...
N'es-tu point épouvantée d'être seule avec moi, dans
la forêt nocturne qui m'aime et qui te hait ?
Je voudrais fuir tes yeux clairs et pénétrants comme
l'acier mortel, je voudrais te fuir et t'attirer à moi.
Les branches des arbres s'inclinent vers toi comme de
longs bras menaçants qui étouffent dans une étreinte
d'amour haineux.
Ils peuvent t'étrangler, mais ils sont impuissants contre
moi, car je suis l'être du silence et de la solitude.
Toute la forêt nocturne te menace et te hait : elle a vu
le mensonge dans tes yeux, et le péril de ta voix, et la
cruauté de ta caresse.
Mais je t'aime, tout en voulant te fuir, et je te proté-
gerai contre la forêt et contre moi-même.
Les choses tendres et vraies me supplient de t'aban-
donner et de m'enfuir, — les feuilles et le lierre, et la
mousse, et les violettes bien-aimées.
Seuls, les furtifs serpents et la lune se réjouissent et
encouragent notre amour.
Oh ! comme la voix des hiboux est sinistre !
Les hiboux me conseillent de t'abandonner et de
m'enfuir.
Les chauves-souris aux ailes bleues s'égarent, tour-
mentées par la pesanteur de leurs corps et par l'impuis-
sance de leurs ailes.
Leur âme est pareille à mon âme. Elles se heurtent stu-
pidement à des obstacles stupides, et le désir de l'infini
est dans leurs regards aveugles.
Je sens cruellement le désir de planer...
Si je pouvais m'envoler, je t'échapperais peut-être, ô
l'incarnation de mon Destin,
Et, si j'osais t'aimer, je te tuerais, selon le désir de la
forêt nocturne qui t'ensevelirait sous les feuilles et sous
les branches.
J’étoufferais ton râle de mes baisers... Ah! ton râle
dans la nuit!... Je t'étoufferais avec des étreintes et des
caresses, et tu mourrais de mes lèvres...
Car je suis l'Amant qui ne peut aimer sans haïr et dont
la convoitise est faite d'amertume et de mélancolie.
Et toi, tu es la Mauvaise Maîtresse qui exaspère les
fièvres et qui avive le mal.
Ne sens-tu pas le danger autour de toi ?
L'odeur de la Mort est dans l'air et m'enivre étrange-
ment...
Oh ! comme la voix des hiboux est sinistre !...
— La Lune rit, la Lune rit...
Renée Vivien
Du vert au violet
Éditions Alphonse Lemerre, 1903