Miel du temps
Sur les murs luisants
Plafond d’or
Fleurs des nœuds
cœurs fantasques du bois
Chambre fermée
Coffre clair où s’enroule mon enfance
Comme un collier désenfilé.
Je dors sur des feuilles apprivoisées
L’odeur des pins est une vieille servante aveugle
Le chant de l’eau frappe à ma tempe
Petite veine bleue rompue
Toute la rivière passe la mémoire.
Je me promène
Dans une armoire secrète.
La neige, une poignée à peine,
Fleurit sous un globe de verre
Comme une couronne de mariée.
Deux peines légères
S’étirent
Et rentrent leurs griffes.
Je vais coudre ma robe avec ce fil perdu.
J’ai des souliers bleus
Et des yeux d'enfant
Qui ne sont pas à moi.
Il faut bien vivre ici
En cet espace poli.
J’ai des vivres pour la nuit
Pourvu que je ne me lasse
De ce chant égal de rivière
Pourvu que cette servante tremblante
Ne laisse tomber sa charge d’odeurs
Tout d’un coup
Sans retour.
Il n’y a ni serrure ni clef ici
Je suis cernée de bois ancien.
J’aime un petit bougeoir vert.
Midi brûle aux carreaux d’argent
La place du monde flambe comme une forge
L’angoisse me fait de l’ombre
Je suis nue et toute noire sous un arbre amer.
Anne Hébert
Poèmes
Éditions du Seuil, 1960