ANNE
L'arbre qui tend vers le ciel son feuillage
Où mille oiseaux chantent pour le soleil
L'hymne joyeux de la terre au réveil,
L'arbre puissant où la sève voyage,
Avant d'offrir à l'âme son envol,
Il fut d'abord la graine dans le sol,
L'infime espoir du grand appareillage.
Peuple modeste où la graine a germé,
L'amour caché depuis les origines
Dans le passé mystérieux s'enracine
Du sol secret au firmament charmé.
Je t'apprendrai la longue patience,
La tradition, la calme prescience
Des jours passés dans le bois enfermés.
JÉSUS
Ô mère de ma mère,
Je retiendrai ces mots.
Les jours sont éphémères
Mais la sève aux rameaux
Porte puissance et vie.
Rien ne sera perdu
Et la cime ravie
Sait tout ce qui est dû
Aux forces de la terre ;
Chaque feuille énumère
Les jours qui ne sont plus
Ô mère de ma mère.
MARIE
Lorsque le navire appareille,
C'est une forêt qui s'en va.
Dans ses membrures et ses mâts,
Le bois enferme ses merveilles,
L'odeur du cèdre et sapin,
Le chant de l'oiseau du matin
Et la feuille qui s'ensoleille.
Et quand l'homme se met en marche,
Il emporte un monde avec lui,
L'étoile qui jadis a lui,
Les promesses des patriarches.
Je t'apprendrai jour après jour
L'alliance du Dieu de l'amour,
Le secret du cœur comme une arche.
JÉSUS
Mère, ô ma tendre mère,
Ces mots touchent mon cœur.
Lorsque va sur son erre
Le bâtiment vainqueur,
Sur la mer le navire
Emporte la forêt
De nos âmes qui virent.
Sans toi rien ne serait.
Les oiseaux qui chantèrent
Suivent sur l'onde amère
L'arche de nos secrets,
Mère, ô ma tendre mère.
JOSEPH
Mais l'arbre est devenu compagnon de nos vies :
Voici la grande table où le couvert est mis,
Voici le bois poli, voici le bois soumis,
Les veines assouplies et la route suivie,
Les chaises, les volets, le coffre, l'établi,
Le bois sauvage et dur par mes mains ennobli,
La maison accueillante où l'amour nous convie.
Et la terre et le ciel en l'arbre se sont joints,
Et l'ombre et le soleil, et le sol et l'espace,
Je les ai chevillés, la maison les enchâsse.
J'ai monté la charpente, assemblé avec soin
Le plus humble chevron et la poutre faîtière.
Je t'apprendrai les mains, le corps et la matière,
La création vivante à conduire plus loin.
JÉSUS
Ô maître charpentier,
Tu m'enseignes le monde,
Les secrets du métier,
Le travail qui féconde
Les jours et les saisons.
Sous tes mains le bois chante
La joie de la maison,
Une douce oraison
Après la mort violente.
Il mourut. Il revit
Entre tes mains aimantes.
Sur ce chemin suivi
De l'écorce à l'aubier,
Mon cœur peut assurer
Qu'à jamais je serai
Le fils du charpentier.
ANNE, MARIE, JOSEPH
La patience de l'arbre est patience de l'homme ; De la graine à la cime il fallut si longtemps. Sombre est l'origine et pourtant Un jour la ramure s'étend, En elle vit le passé que nous sommes.
L'arbre est le cri jeté vers le ciel par la terre, L'appel jailli du fond de notre obscurité Vers l'espoir de l'immensité, Il est l'arche où va s'abriter L'aile fragile et tendre du mystère.
Au sein de la maison où nos cœurs se confondent, Il est le bois soumis à l'effort quotidien, Il est le bois qui se souvient Et chacun de ses nœuds retient Pour nous l'amour qui a créé le monde.
Ainsi jour après jour en cette humble demeure, Tu soumettras le bois au pouvoir de tes mains, Tu connaîtras le sort commun, Le cœur secret des lendemains : Pour que vive le bois il faut que l'arbre meure. |
JÉSUS
Il faut que l'arbre meure
Pour que vive le bois.
Je le sais, je le crois,
Et lorsque viendra l'heure
De mon ultime choix,
Chantera la demeure
Où par mon père et moi
La charpente fut chevillée en croix.
ANNE, MARIE, JOSEPH
Pour que vive le bois il faut que l'arbre meure. |
Jacques Charpentreau
La poésie dans tous ses états
Les Editions Ouvrières