Arbre noir, gorgé de sève
chargé de nos sorts et de nos épouvantes
ton architecture prend la forme d'une masse
tourmentée par le vent
qui te donne une tonalité nocturne.
J'entoure ton tronc de regards
entends dans tes gémissements mon propre cri.
Hélas ! Ne m'a-t-il pas été de toute éternité ?
Je porte en moi sa souffrance
je l'élude ou la touche
elle germe comme un bourgeon
et chaque atome de mon corps
la connaît pour avoir succombé à ses pousses.
Car la joie jamais rien ne rachète
l'imperfectible est là
pauvre arbre, pauvre amour
je suis cette colombe enlisée, attachée à son nid
dont le pèlerinage n'a pas de fin
dont le chant s'enfle en mélodie
mais le soir, le soir, pourpre au jusant.
L'ombre poursuit la lumière
qui des deux gagnera ?
La pluie d'été a son commencement
belle en est la clairière
mais l'haleine du temps souffle la solitude
souffle renoncement.
À quel faîte d'or, à quel soleil rallumer
tant de feuillage ? À quelle grâce
quand la séparation est pour partage ?
Prière de ce qui aime n'empêche rien
toujours la disparition ouvre son aile
et l'inespéré est dedans.
Ainsi l'arbre doublement ramifié
parle l'alliance, enlace nos fragilités
console-moi de tes tiges, donne-nous branchage
accueille nos chutes, feuille à feuille
secoue ta nuit et ma tristesse, embrase-nous
à la racine où commence ta naissance
en terre de végétal et d'humain.
Serait-ce non, le mot murmuré, petite traînée
sur l'étendue pourtant éclatante de la présence
non, ma vie épie derrière la fenêtre son exact
contraire, elle pose par terre le silence et l'attente
pour serrer contre son cœur la patiente beauté
de ce qui vient, ô neige de printemps, les arbres
plaquent blanc espoir au carreau de la nuit, tout
compte, le pommier, la colline et sa porte céleste
même les étoiles brillent de je ne sais quel éclat
parsemant autrement la carte du ciel, brisant
toute clôture pour consentir : non, j'entends oui.
Sylvie Fabre G.
Poé/tri
40 voix de poésie contemporaine
par Frank Smith et Christophe Fauchon
Autrement Littératures, 2001