J'ai vu languir au fond de la vallée
Un jeune arbuste oublié du bonheur ;
L'aurore se levait sans éclairer sa fleur,
Et pour lui la nature était sombre et voilée.
Son front pour s'élever faisait un vain effort ;
L'ombre humide éteignait sa force languissante ;
Un éternel hiver, une eau triste et dormante
Jusque dans sa racine allait porter la mort.
« Hélas ! faut-il mourir sans connaître la vie ! »
Disait le jeune arbuste en courbant ses rameaux ;
« Je n'atteindrai jamais de ces arbres si beaux
La couronne verte et fleurie !
Ils dominent au loin sur les champs d'alentour ;
On dit que le soleil dore leur beau feuillage,
Et moi sous leur impénétrable ombrage
Je devine à peine le jour.
Vallée où je me meurs, votre triste influence
A préparé ma chute auprès de ma naissance !
Bientôt, hélas ! je ne dois plus gémir !
Déjà ma feuille a cessé de frémir !...
Je meurs ! je meurs! » Ce douloureux murmure
Toucha le dieu protecteur du vallon.
C'était le temps où le noir Aquilon
Laisse, en fuyant, respirer la nature.
« Non ! dit le dieu : qu'un souffle de chaleur
Pénètre au sein de ta tige glacée !
Ta vie heureuse est enfin commencée ;
Relève-toi, j'ai ranimé ta fleur.
Je te consacre aux nymphes des bocages,
À mes lauriers tes rameaux vont s'unir ;
Et j'irai quelque jour sous leurs jeunes ombrages
Chercher un souvenir. »
L'arbrisseau, faible encor, tressaillit d'espérance ;
Dans le pressentiment goûta l'existence :
Comme l'aveugle-né, saisi d'un doux transport,
Voit fuir sa longue nuit, image de la mort,
Quand une main divine entr'ouvre sa paupière.
Et conduit à son âme un rayon de lumière,
L'air qu'il respire alors est un bienfait nouveau
L'air est plus pur venant d'un ciel si beau !
Marceline Desbordes-Valmore
Les Poésies de l'enfance
Garnier, 1881