Quel est son nom ? Platane, érable ou marronnier ? Je connais son tronc seul et le reste est chimère : Sa racine, enfouie au secret du cellier, Son faîte qui, là-haut, sur la toiture en verre, Est curieusement soucieux de son pied.
Son tronc vit dans le monde, et sa cime est trappiste Au cloître très fumeux des vieux toits de Paris ; Elle vit en puriste Loin des sommeliers noirs et des convives gris.
Le tronc, lui, connaît le calorifère, Le rayonnement des maîtres d'hôtel, Les Pontet-Canet, les Clos, les Castels Les index goulus sur la carte chère, Le gérant, plastron serein, L’argot de la valetaille, La caissière qui détaille La ripaille Et retient,
(Créatrice est sa mémoire) ;
Le tronc connaît son histoire Et la flamme du grill-room Et le petit nom du groom ;
Mais il souffre de fringale! De la soif de tout un goum !
Tantale ? Tantale !
Et, cependant, les pieds de l'arbre parisien Trempent dans les vins fins. |
Jules Supervielle
Les Poèmes de l'humour triste
Gallimard