Je suis un arbre de plein vent.
Toute bourrasque me pourfend
Puis se love dans l'accalmie.
Je suis un arbre dans la vie
Indifférente des saisons.
Les racines aux doigts profonds
— Filles du temps, sœurs de l'histoire —
Ramènent au jour la mémoire
Où passent mes frères humains
Qui le long des mêmes chemins
Se conjuguent avec l'espace.
L'arbre que je suis se déplace
Sur une fourche de deux pieds.
Deux rameaux pliés, dépliés,
Équilibrent bien son avance.
La cime de l'esprit qui pense,
Rafraîchi de feuilles, de fleurs,
Pense les joies et les douleurs,
Pense la mort de toute vie.
Je suis un arbre d'accalmie.
Je suis un arbre tourmenté,
Un arbre toujours traversé
Par le destin de son essence.
Ô noblesse d'humble balance,
Épreuve d'être qui ne sait
Qu'une parcelle des secrets
De l'univers indéchiffrable,
Cosmonaute de l'ineffable
Qu'entoure un peuple de gisants !
L'arbre que je suis va rêvant
Sur le sol vierge qui le porte
Et se heurte au pied de la porte
Qui doit un jour le recevoir.
Je suis un arbre dans le soir.
Pierre Menanteau
Œuvre poétique, tome IV
SOC et FOC, 2001