L'arbre jamais ne dort.
Dure jambe de chêne, parfois si nue qu'elle aspire
à un soleil noir.
C'est une cuisse piaffante qui s'arrête un moment,
tandis que tout l'horizon se retire craintif.
Un arbre est une cuisse qui se dresse sur la terre
comme la vie rigide.
Il ne veut être ni blanc ni rose,
mais vert, vert toujours comme les yeux durs.
Genou immense où les baisers n'imiteront jamais de fausses fourmis.
Où la lune ne prétendra pas être une fine dentelle.
Car l'écume qui une nuit oserait même la frôler
serait roche le lendemain, roche dure et sans mousse.
Veines où parfois les lèvres qui les baisent
connaissent la virtuosité de l'acier docile,
sentent cette chaleur qui donne son éclat au sang
quand il s'élance pressé entre les muscles savants.
Oui. Une fleur parfois veut être un bras puissant.
Mais jamais vous ne verrez qu'un arbre désire être autre chose.
Un cœur d'homme parfois résonne à coups violents.
Mais un arbre est un sage, et bien ancré domine.
Tout un ciel ou une rougeur repose sur ses branches.
Des grappes d'enfants-oiseaux n'osent à ses bourgeons se suspendre.
Et la terre entière est tranquille sous vos yeux ;
mais je sais bien qu'elle se dresserait comme une mer pour le toucher.
Magnifique géant, sentant les étoiles toutes
ridées sans le moindre vent,
d'une résonance mystérieuse sans aucun vent doré,
un arbre vit et peut mais ne clame jamais,
il ne jette jamais son ombre aux mortels.
Vicente Aleixandre
Poésie totale
Traduit de l'espagnol par Roger Noël-Mayer
Gallimard, 1977