Ce n'est qu'un petit arbre, en sa rondeur fragile,
qui veut s'épanouir au cœur du firmament :
pourtant c'est lui, soudain, qui s'est couvert de fleurs,
on dirait dans le ciel un bouquet de comètes !
Ses griffes blanches et roses, ses languettes de flammes
dardent tôt le matin au bout de chaque tige,
entre les ongles tendres des bourgeons annelés
gluants comme du miel,
autour desquels murmurent, heureuses, les abeilles
butinant le soleil dans un jardin d'été...
Et si c'est pour cela
qu'inconsolés, pendant deux mille années,
chassés au bout du monde par l'implacable vie
du pays-du-matin, vu seulement en rêve,
nous avons attendu au fond de la nuit froide
comme des morts enfouis dans le sable et la boue, —
malgré tout, malgré tout, chers enfants du bon Dieu,
il refleurit pour vous sur la grille de la porte,
l'amandier qui s'élance au-dessus du jardin,
hors du cœur rajeuni de cet hiver de roc.
Sous leurs ailes de duvet immenses
par les tempêtes blanches des aubes de janvier
bien protégé contre l'ange et la mort,
soustrait au bec du méchant corbeau noir
qui veut se rassasier du germe de la vie,
déjà mûrit secrètement en toi
comme au milieu d'un feu de printemps clair et doux,
avec tout son tissu de cellules lactées,
le fruit de l'amandier aussi pur que le miel !
Là-haut, sur son étoile errante
à l'œil vert et doré d'éclair,
qui vole dans la nuit par les isthmes du ciel
lorsque sur la terre étrangère
longtemps il neige encore sur les pays sans nom, —
tu te mets à fleurir, et tout à coup tu chantes
par chaque tige nue de ta jeune couronne,
comme au début de juin les abeilles bourdonnent
dans la lumière verte au lever de l'aurore,
et tressent une natte blonde
sur tes tempes tièdes d'enfant, —
oui, bien qu'il te menace, l'archange de la mort,
contre lui justement,
malgré tout, malgré tout,
tu demeures pour moi la fiancée d'été,
ma toute jeune, ma toujours belle,
ma nouvelle Jérusalem !
Claude Vigée
Aux portes du labyrinthe
Flammarion, 1996
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Sophie Duplain L'Éclaireur |