il y a des jours
j'ai cent fois cent ans
mes âges sont des cercles
qui s'éloignent du cœur
enroulant une continuité sans lien
il y a des jours
mes bras nus
se tendent pour étouffer
ce cri incessant
mes rêves mûrissent
pourrissent sur le sol
il y a des jours
mon corps se fissure
imperceptiblement comme une vie
mes muscles fondent
mes os sèchent
l'intérieur s'effrite
il y a des jours
le temps pèse
plus que l'inutile
il ne reste
que la violence du vide
que la cendre au creux des mains
il y a des jours
si ce n'était de la profondeur des attachements
de la vibration de ta voix sur ma peau
je m'écroulerais dans un fracas terrible
il y a des jours il y a des jours
que je suis un arbre
il y a des jours
l'oiseau se perche
rétablit l'équilibre
et je frémis de tous ses chants
il y a des jours
le lac suspendu dans ma tête
se troue d'ombre et de lumière
il y a des jours
mes racines me poussent
du côté de la vie
il y a des jours
je suis une voile
gonflée de destinations nouvelles
l'ombre fraîche de la terre apaise la fièvre
le vertige de dire la beauté immense
il y a des jours
l'heure est grande et douce d'impatience
l'espoir se ramifie
tisse le lendemain
au-delà de la nuit
il y a des jours
je suis sans histoire
une suite sans début ni fin
une forêt qui a l'âge de tous les hommes
depuis et pour toujours
il y a des jours il y a des jours
que je suis un arbre parmi les arbres
Richard Sage
Bacchanales n°29, nov. 2002
Revue de la Maison de la Poésie Rhône-Alpes