Une forêt, la nuit et sans pénombre
Avec des arbres droits et clairsemés,
Et l'éclat du cristal à l'extrémité des branches.
Pour se mouvoir à pas lents vers la lumière,
Les yeux abîmés dans le ciel :
Laisse ton livre pour la contemplation du ciel,
La naissance végétale de l'aube.
Au lieu des escaliers surchargés de pierreries,
Une montée, la nuit, entre des arbres transparents,
Le compagnon spirituel à mes côtés
Qui ouvre des yeux adorablement beaux.
Où courez-vous entre les rangs de jeunes frênes ?
Nous avons eu mal aux vertèbres de nos cous
Pour avoir trop jeté la tête en arrière,
- L'étoile que nous dépassions.
Il faut partir, me dit l'ami spirituel,
Donnez-moi votre main pour l'heure de l'envol,
Je ne sens déjà plus la même attirance
De la terre, - mais l'autre, prodigieuse, grandit...
Les arbres, ils étaient droits et clairsemés ;
Il me souffla : C'est l'heure...
Nous sentîmes les branches qui frôlaient nos visages.
L'air vif battit nos fronts quand ils les dépassèrent...
Il se tenait très loin et seul,
Et tout le ciel était tendu vers Lui.
Et nous chantions avec des voix qui ressemblaient
À celles des branches, avec un son de voix
Qui pouvait être celui du vent dans les branches :
Joie, Joie ! car l'homme est sur ses fins !
Une pente indicible de blancheur,
Foulable aux pieds, non pas imaginaire,
Où montaient de grands équipages de rois.
Venus par vagues des villes abandonnées,
Avec leurs ombres
Et les dons les plus beaux de toute la terre.
Pour graviter si lentement dans la lumière
Autour de Lui :
Laisse tes autres sens pour la gravitation dans la lumière...
Et nous chantions avec des voix qui ressemblaient
À celles des Anges, avec un son de voix
Qui ressemblait à l'extase des Anges :
Joie, Joie ! car l'homme est sur ses fins !
Il se fit un arrêt de toute vie actuelle,
Nous étions suspendus par l'amour,
Les bras en croix qui nous portaient dans l'air.
Une vague immense monta jusqu'au solstice,
Laissant un sillage derrière elle
Que d'autres vagues effaçaient.
Nous approchions si lentement de son visage,
Nos yeux se tendaient vers ses yeux
Nous ne vivions plus que par le désir...
Il eût fallu des prunelles beaucoup plus larges,
Pour contenir sa lumière merveilleuse,
Et les nôtres brûlaient telles des torches.
Alors nous fûmes tous poussés vers une même voie :
Elle se déroula comme une nébuleuse
Et des milliers d'oiseaux polaires...
Patrice de La Tour du Pin
La Quête de joie
suivi de Petite somme de poésie
Gallimard