I
Dans la ville désertée il ne reste que les miséreux,
quelques hommes sans lien mais forts de ce soleil, des
voyageurs fous de voyages.
Les grands trains s'étirent sur les rails, chaque
compartiment est vide et on prend peur à y rester.
C'est la feuille qui ne sait pleurer, qui ne sait pas se
plaindre d'être prisonnière du vent qui tourne. J'ai cru
voir la vie humaine disparaître dans cette ronde.
C'est la route où s'en vont ceux restés le matin et qui
s'approcheront d'un air chaud et vert presque ignorants
de la déchéance.
Je la prendrai moi-même pour aborder des sourires et
des présences.
J'ai toujours eu peur qu'un lien de tristesse et de
déplaisir m'atteigne sans que je puisse me démener et
que j'en trépasse.
Et ces lieux ne sont tolérables que si un bras lisse et
proche s'allonge sur votre épaule et aplanit des vagues
d'épines, trapues à l'œil unique.
En ce jour de Toussaint, je ne prierai jamais.
Je voudrai être la fibre de l'autre et celle du métal.
Je m'explicite : chanter, tenir la plume et le pinceau,
danser et faire d'innombrables choses d'un seul geste,
inappréciable, vu de personne.
Voilà, je pars bientôt, la vie est simple si on sait la finir.
Je prierai. J'abandonne aux terrassiers le soin
d'agrémenter le chemin.
II
J'ai reposé au pied d'un arbre Je voudrais fendre ma vie D'un coup de hache Un fossé entre l'herbe et les fruits Entre la fureur et la chute d'eau. |
Le jour de la Toussaint se termine, c'est la nuit et les
foyers de nouveau pleins, mornes ou brillants.
Serait-ce le temps d'une image moins sévère, d'un aveu
de sucreries et d'étoiles ?
J'ai plaisir, dans ma chambre, à regarder mes objets
endormis. Ils n'arquent pas le dos et n'ont de bruit que
mes caresses. Ils sont une nature morte, imprévue, figés
dans le murmure de cette tranquille et sage.
Tous les bruits sont lointains, je ne veux pas les
invoquer.
J'ai détourné mon esprit, ce qu'il voyait, il le voyait
trop fort, j'ai peiné d'être meurtri et sans blessures.
Un doigt sur des touches blanches, m'a déversé des
rubans clairs ; l'espace noir s'éteint dans la tellurique
magnificence de lentes notes scindées.
Il est des instants où l'on se surprend du sublime.
Jort, Novembre 1978
Antoine Dalmont
Mes lèvres s'ouvrent encore...
La Reine Bérengère, 1981