Dans le mortel soupir de l'automne qui frôle
Au bord du lac les joncs frileux,
Passe un murmure éteint : c'est l'eau triste et le saule
Qui se parlent entre eux.
Le saule : « Je languis, vois, ma verdure tombe
« Et jonche ton cristal glacé ;
« Toi qui fus la compagne, aujourd'hui sois la tombe
« De mon printemps passé. »
Il dit. La feuille glisse et va jaunir l'eau brune.
L'eau répond : « Ô mon pâle amant,
« Ne laisse pas ainsi tomber une par une
« Tes feuilles lentement ;
« Ce baiser me fait mal, autant, je te l'assure,
« Que les coups des avirons lourds ;
« Le frisson qu'il me donne est comme une blessure
« Qui s'élargit toujours.
« Ce n'est qu'un point d'abord, puis un cercle qui tremble
« Et qui grandit, multiplié ;
« Et les fleurs de mes bords sentent toutes ensemble
« Un sanglot à leur pié.
« Que ce tressaillement rare et long me tourmente !
« Pourquoi m'oublier peu à peu ?
« Secoue en une fois, cruel, sur ton amante
« Tous tes baisers d'adieu ! »
Sully Prudhomme
Les Solitudes
Éditions d'Aujourd'hui, 1978