sous de blanches rafales
l'hiver étale sa chemise
taches de sang rouge cerise
neige cribblée de balles
dans les vergers de Chamchamal
mains capturées de sueurs et de rides
les hommes se jettent des cris d'œil écrasé
les femmes épient les montagnes arides
ébranlant vers le ciel leurs ombres et leurs baisers
certaines dansent comme folles méduses
égarées sur les toits la danse de la ruse
et ce bruit d'eau dans l'arbre à Kout-Al-Amara
cette mitraille de gouttes grises
sur les enfants larmes cerises
plombés de frissons des tisons dans les doigts
pleurant sous les palmiers-dattiers de Samarra
dans le berceau du monde le sable s'interroge
le pouvoir est-il partout aux mains des fous
des tyrans des malades
l'odeur de la poussière qu'ici la mort déloge
c'est l'odeur de la peur la vieille odeur nomade
résonnent les canons
les poids de la foudre les lumières de glace
la nuit sur l'horizon éprouve ses grimaces
les ombres se font des signes et questionnent les vents
lors de salves imprécises
est-ce qu'un aigle se nourrit de cerises
est-ce qu'un chameau mange un orvet dormant
de quels gamins riants l'avion qui gronde est-il
gourmand
pourquoi dans le verger l'orange sanguine éclate
et tant de fruits crevés aux branches qui se brisent
comme un éclair déchire des tonnes de cerises
pourquoi ce matin tant de grenades
tant de figues meurtries dans les jardins de Bagdad
pourquoi dans les marais rugit ainsi le Tigre
pourquoi l'Euphrate pousse des plaintes de roseaux
sous l'avancée des chars la terre d'ocre vibre
aux lèvres du soleil il manque parfois de mots
le silence crépite jusqu'au fond des poitrines
où saigne la mémoire d'absurdes mandarines
dans les vergers de Chamchamal
l'hiver panique ses écorces de crise
corps lacérés plaies béantes cerises
la neige se régale
du printemps rouge des chacals
Jean-Paul Kermarrec
Poèmes du remous
La Part Commune, 2008
Illustration : Mohammed Idali