Le soir tandis
que des cimes des arbres battant leurs ailes invisibles
les bruissements s'échappent et vont se consumer au loin
par le silence et par le feu — j'entends
(et toujours cet oracle me parvient de ma lointaine enfance)
l'arbre qu'un jour d'été j'entendis
là-bas dans notre champ face à la mer.
Il me parlait comme en mon rêve.
Sa voix venait de l'infini.
Son langage, plus haut qu'est langage de l'eau,
était lumière, était marée,
était de feuilles et de feu.
Séduction de promesses qui m'étaient étrangères.
Parfois un flottement circulaire, puis, de nouveau,
départ.
Cet arbre, venu de l'infini, venait
de mes propres abîmes et me parlait et se taisait.
Son charme me portait — c'était la joie
de s'accomplir à l'infini.
Le soir à l'heure du repos tandis
que parle l'arbre
j'ai le désir d'une autre joie
(ah l'enfance tranquille !)
Je suis figé.
Triste désir.
Cette vie lointaine et si douce
est vision,
est mirage aussi.
Il fait silence autour de moi.
Mais va le vent, passent les bruissements
vague par vague.
J'entends l'écho des rives, le bruit du sable.
L'arbre m'emporte et c'est
ce que j'entends mon acheminement
ce parcours sans répit.
Je suis le voyageur de l'infini.
Il faut marcher.
Le repos, le bonheur, la joie
ne sont que de vaines haltes. C'est notre exil
ce devenir. Le monde n'est qu'un devenir
et le monde est un autre monde
à chaque instant.
Ces bruissements qui se consument à renouveau
ne sont que ce puissant trajet,
cet élan qui emporte et nous arrache de nous-mêmes.
Notre être déchiré nous sera rendu
grand ouvert.
Parle l'arbre
et nous marchons à l'unisson.
La joie circule dans le bois
et les ombres avec.
(Traduction de Marc Delouze)
Nikoghos Sarafian
La poésie arménienne
Les Éditeurs français réunis