Quand les Druides saints, couronnés de verveines,
Cueillaient le Gui sacré sur le tronc noir des chênes
Et plaçaient leurs dolmens sous vos ombrages frais,
C’est qu’ils avaient compris l’attrait plein de mystère
Que votre solitude et votre calme austère
Offrent aux hommes, ô Forêts !
Ils n’eussent pu trouver de Temple plus sublime,
Plus apte au sacrifice horrible des victimes,
Mieux fait pour dominer sur les cœurs effrayés
Que l’espace assombri de vos vastes enceintes
Où les blocs de granit servaient de Tables saintes
Et les vieux arbres de piliers.
Ils paraissaient plus grands sous vos Voûtes mystiques,
Et quand sur les plis longs de leurs robes antiques,
Un rayon de soleil furtif et radieux
Brodait, en se jouant, une étrange arabesque,
Dans ce jour vague et doux des bois, il semblait presque
Que ces hommes, c’étaient des dieux.
De ce brillant passé, quelque chose en cette heure,
Dans votre solitude erre encore et demeure ;
Velléda hante encor ses autels démolis ;
Sous les chênes aux troncs ceints de mousse et de lierres
Se dressent quelquefois des visions altières,
Toutes pâles dans leurs surplis.
Et sous le dôme noir où la feuille frissonne,
Quelque chose d’étrange et de triste résonne,
Bourdonnement, soupir, insaisissable appel.
Est-ce le vague écho d’une chanson lointaine ?
Le suprême sanglot de la victime humaine
Que le prêtre offrait sur l’autel ? —
Est-ce l’austère voix d’un Druide en prière
Qui, les bras étendus, l’œil rempli de lumière,
Se tient calme et debout sur un dolmen branlant
Et présente au soleil des Oraisons sacrées,
Tandis qu’un dernier flot d’étincelles dorées
Lui fait un nimbe étincelant ?
Bevaix, 16 septembre 1882
Alice de Chambrier
Poèmes choisis
L’Âge d’Homme, 2007