Saint, saint, saint le Seigneur qu’adore la colline ! Derrière ces soleils, d’ici nous le voyons ; Quand le souffle embaumé de la nuit nous incline, Comme d’humbles roseaux sous sa main nous plions ! Mais pourquoi plions-nous ? C’est que nous le prions ! C’est qu’un intime instinct de la vertu divine Fait frissonner nos troncs du dôme à la racine, Comme un vent du courroux qui rougit leur narine, Et qui ronfle dans leur poitrine, Fait ondoyer les crins sur les cous des lions. |
Glissez, glissez, brises errantes, Changez en cordes murmurantes La feuille et les membres des bois ! Nous sommes l’instrument sonore Où le nom que la lune adore À tout moment meurt pour éclore Sous nos frémissantes parois. Venez, des nuits tièdes haleines ; Tombez du ciel, montez des plaines, Dans nos branches, du grand nom pleines, Passez, repassez mille fois ! Si vous cherchez qui le proclame, Laissez là l’éclair et la flamme ! Laissez là la mer et la lame ! Et nous, n’avons-nous pas une âme, Dont chaque feuille est une voix ? |
Tu le sais, ciel des nuits à qui parlent nos cimes ; Vous, rochers que nos pieds sondent jusqu’aux abîmes D’une immortelle vie agents mystérieux ! Et pour qui donc seraient ces siècles d’existence ? Et pour qui donc seraient l’âme et l’intelligence ? Car les siècles, pour nous, c'est hier et demain !!! |
Oh ! gloire à toi, Père des choses ! Dis quel doigt terrible tu poses Sur le plus faible des ressorts, Pour que notre fragile pomme, Qu’écraserait le pied de l’homme, Renferme en soi nos vastes corps ! |
Pour que de ce cône fragile, Végétant dans un peu d’argile, S’élancent ces hardis piliers Dont les gigantesques étages Portent les ombres par nuages, Et les passereaux par milliers ! |
Et quel puissant levain de vie Dans la sève, goutte de pluie Que boirait le bec d’un oiseau, Pour que ses ondes toujours pleines, Se multipliant dans nos veines, En désaltèrent le réseau ! |
Pour que cette source éternelle Dans tous les ruisseaux renouvelle Ce torrent que rien n’interrompt, Et de la crête à la racine Verdisse l’immense colline Qui végète dans un seul tronc ! |
Dites quel jour des jours nos racines sont nées, Rochers qui nous servez de base et d’aliment ! |
Aigles qui passez sur nos têtes, Allez dire aux vents déchaînés Que nous défions leurs tempêtes Avec nos mâts enracinés. Qu’ils montent, ces tyrans de l’onde ; Que leur aile s’ameute et gronde Pour assaillir nos bras nerveux ! Allons ! leurs plus fougueux vertiges Ne feront que bercer nos tiges Et que siffler dans nos cheveux ! |
Fils du rocher, nés de nous-même, Sa main divine nous planta ; Nous sommes le vert diadème Qu’aux sommets d’Éden il jeta. Quand ondoiera l’eau du déluge, Nos flancs creux seront le refuge De la race entière d’Adam ; Et les enfants du patriarche Dans notre bois tailleront l’arche Du Dieu nomade d’Abraham ! |
C’est nous, quand les tribus captives Auront vu les hauteurs d’Hermon, Qui couvrirons de nos solives L’arche immense de Salomon. Quand, plus tard, un Verbe fait homme D’un nom plus saint adore et nomme Son Père du haut d’une croix, Autels de ce grand sacrifice, De l’instrument de son supplice Nos rameaux fourniront le bois. |
Nos rameaux fourniront le bois. En mémoire de ces prodiges, Des hommes inclinant leurs fronts Viendront adorer nos vestiges, Coller leurs lèvres à nos troncs ; Les saints, les poètes, les sages, Écouteront dans nos feuillages Des bruits pareils aux grandes eaux, Et sous nos ombres prophétiques Formeront leurs plus beaux cantiques Des murmures de nos rameaux. |
Glissez comme une main sur la harpe qui vibre Foyer dont chaque vie est la pâle étincelle, Bloc dont chaque existence est une humble parcelle ! Qu’il vive sa vie éternelle, Complète, immense, universelle ; Qu’il vive à jamais renaissant Avant la nature, après elle ; Qu’il vive et qu’il se renouvelle
Alphonse de Lamartine Choix de Poésies Éditions Lemerre, 1944
Antoine-Alphonse Montfort Les vieux cèdres sur le Mont Liban Musée du Louvre |