Pour K.-X. Rousselle
Dans le calme frais des matins bleus,
Avant que le soleil qui affole les faunes
Ait fleuri les jardins pâles des cieux
De son ardente et géante corolle jaune,
Des bruits comme soyeux glissent dans les fourrés,
Des voix suavement étranges
Murmurent des mots presque soupirés ;
Et l'on dirait que des propos tristes s'échangent.
Peut-on croire que les arbres se soient ouverts,
Pour que ces formes d'un blanc rose
Apparaissent ainsi entre les mousses vertes,
Entre les ors durement fauves des écorces ?
Et le bois s'est bizarrement peuplé
D'êtres plus beaux que les rêves des grands artistes
Épris d'une resplendissante humanité.
Ils s'en vont, effleurés des myrtes et des cistes,
Et baignés d'une mystérieuse lumière
Plus froide et pure que le saphir des abîmes.
Dans les chuchotantes clairières,
Près des lacs où rêve la note ultime
D'un chant plaintif, sanglot mélodieux,
Les grands sylvains distraits aux regards soucieux
Courtisent languissamment les nymphes pensives.
Mais un pâle cortège blanchit dans les bois,
Lent, d'allure comme passive,
Hautain et lugubre à la fois,
Très pâle et très lent et qui se lamente ;
Sylvains, dryades couronnées d'iris violets,
Désertent les tapis de fleurs des sentes,
Flottent comme vapeurs vers leurs chênes voilés
D'une fumée de grèbe en le jour qui veut naître,
S'évanouissent, fantômes vite oubliés,
Discrets devant la douleur sombre des Vieux Maîtres.
Et sur la route qui va rosissant,
Le doux fleuve auroral ondulant vers la plage,
On ne voit plus que de farouches paysans
Et des filles aux grandes prunelles sauvages —,
Maîtres du sol feuillu qui semblent ignorer
Le rire amer qui bruit tout bas dans la forêt.
John-Antoine Nau
En suivant les goélands
G. Crès et C°, 1914