Mes yeux tout excités me prennent par la main,
Me mènent à travers un pur réseau couleur fuchsia,
Des arbres de Judée qui bâillent et s'étirent vers la floraison.
Notre contact subtil nous réveille,
Cependant que je passe d'une pièce à l'autre
À l'intérieur de cette serre de plein vent.
Pommiers et cornouillers m'incitent
À goûter leur senteur de dentelle blanche ; je m'attarde,
M'arrête assez longtemps pour cueillir leur parfum,
Puis continue le long du sentier en labyrinthe
Que mes yeux ouvrent à travers les débris de l'hiver.
De tous côtés, dans cette mer d'avril aux tons d'aigue-marine,
Sur les bords de laquelle j'avance indolemment,
Voiliers, frégates, vaisseaux baleiniers
Captifs de la marée précoce du printemps
Commencent à hisser des voiles vertes,
Se préparent à lever l'ancre pour les océans de l'été.
Je salue d'invisibles équipages, aussi actifs que les abeilles,
À bord de ma flottille spirituelle, et invente en secret
Des moyens d'évasion, afin d'assurer la sortie
Du port enclavé dans les terres où mon esprit
Est resté trop longtemps en cale sèche.
Aucune fuite ne se dessine sur mes pupilles,
Mais, tandis que je m'éloigne de ces songes creux
Et que mes pas s'approchent de la saison nouvelle,
Je me rends compte que la liberté n'exige guère plus
Que de redécouvrir les cycles de la vie
Qui nous unissent l'un à l'autre, et chacun
À la Création originelle. La survie dépend des regards
Qui saisissent l'avenir et le passé dans l'universel Maintenant ;
Eux seuls peuvent semer des graines, implanter l'âme
Dans la terre fertile, fondre les os avec l'air :
Le sang de l'arbre de Judée est mon sang.
Louis Daniel Brodsky
La terre avide suivi de
Vingt-quatre merles qui s'envolent
Traduit de l'anglais par Jean Lambert
Gallimard, 1992