Les chardonnerets, leur tintement de verre, assourdi,
Et l'érable au dessus du feuillage tombé
Sur l'immensité azur et transparente,
Déjà tout dénudé, léger de ses branches...
Ô supplice brûlant ! Que demandons-nous, moi, lui,
Les chardonnerets, le feuillage ? Et sais-je
Pourquoi je dois mettre la joie de ce supplice,
Cet horizon et ce carillon
Et le sens obscur qui le remplit
En sons et en musique ?
Il faut que je prenne, comprenne et offre,
Avec moi quelqu'un doit souffrir,
Car le soleil de sa lumière basse
Me réchauffe dans le jardin vaste et dévêtu,
Car le feuillage jaune illumine
L'érable et ses branches, car si peu si peu,
Allant, transporté, par le jardin vide,
À un autre je fais comprendre ma peine...
À la tige droite et pourpre,
Avec elle reste au moins la mémoire
De ce lumineux verger
À l'herbe crissant d'argent blanc,
De l'immensité étincelant par dessus l'érable
Comme une tente d'azur éteint
Et des chardonnerets et leur carillon de cristal terne !
3.X.1917.
Ivan Bounine
Mon cœur pris par la tombe
Traduction du russe par Madeleine de Villaine
La Différence, 1992
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