Vingt minutes après j’étais devant une minuscule maison rose, que l’on aurait appelé bastidon en Provence. Une eau vivante jaillissait d’un tuyau et chantait dans un lavoir (…) Je grimpai au premier. Je jetai un coup d’œil par les fenêtres. J’en eus le souffle coupé… Le paysage balayait d’un trait bleu tous les tableaux, chefs-d’œuvre, symphonies ! La beauté gifla mon visage. Pure, simple, brutale ! La beauté ! Aucun autre mot n’aurait pu franchir mes lèvres, tant ce que je voyais était grand, lumineux, bouleversant.
Les quelques passages, ouverts par les sangliers et les renards, débouchaient sur de vieilles parcelles d’oliviers abandonnées depuis un demi-siècle. Je dénichais un arbre, m’y adossais, et perdu dans ma lecture, je devenais cet arbre, sa force passait dans mon corps. Je restais des heures, immobile, dans ce silence sauvage. J’étais un arbre qui lit.
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René Frégni
Minuit dans la ville des songes
extraits p 129,130,131.
Gallimard 2022