Il me semble que sous les ombrages d’une forêt je suis oublié, libre et paisible comme si je n’avais plus d’ennemis ou que le feuillage des bois dût me garantir de leurs atteintes comme il les éloigne de mon souvenir, et je m’imagine dans ma bêtise qu’en ne pensant point à eux ils ne penseront point à moi. Je trouve une si grande douceur dans cette illusion que je m’y livrerais tout entier si ma situation, ma faiblesse et mes besoins me le permettaient. Plus la solitude où je vis alors est profonde, plus il faut que quelque objet en remplisse le vide, et ceux que mon imagination me refuse ou que ma mémoire repousse sont suppléés par les productions spontanées que la terre, non forcée par les hommes, offre à mes yeux de toutes parts. Le plaisir d’aller dans un désert chercher de nouvelles plantes couvre celui d’échapper à mes persécuteurs et, parvenu dans des lieux où je ne vois nulles traces d’hommes, je respire plus à mon aise comme dans un asile où leur haine ne me poursuit plus. |
Jean-Jacques Rousseau
Les Rêveries du promeneur solitaire
1782
Extrait de la septième promenade