II
Ce fut à vingt ans que Simplice devint complètement idiot. Il rencontra une forêt et tomba amoureux. Dans ces temps anciens, on n’embellissait point encore les arbres à coups de ciseaux, et la mode n’était pas de semer le gazon ni de sabler les allées. Les branches poussaient comme elles l’entendaient, et Dieu seul se chargeait de modérer les ronces et de ménager les sentiers. La forêt que Simplice rencontra était un immense nid de verdure, des feuilles et encore des feuilles, des charmilles impénétrables coupées par de majestueuses avenues. La mousse s’y enivrait de rosée et s’y livrait à une débauche de croissance ; les églantiers, allongeant leurs bras flexibles, se cherchaient dans les clairières et exécutaient des danses folles autour des grands arbres ; les grands arbres eux-mêmes, tout en restant calmes et sereins, tordaient leur pied dans l’ombre et montaient en tumulte baiser les rayons d’été. L’herbe verte croissait au hasard, sur les branches comme sur le sol ; la feuille embrassait le bois, et, dans leur hâte de s’épanouir, pâquerettes et myosotis se trompaient parfois et fleurissaient sur les vieux troncs abattus. Et toutes ces branches, toutes ces herbes, toutes ces fleurs chantaient ; toutes se mêlaient, se pressaient, pour babiller plus à l’aise et se dire tout bas les mystérieuses amours des corolles. Un souffle de vie courait au fond des taillis ténébreux, et donnait une voix à chaque brin de mousse dans les ineffables concerts de l’aurore et du crépuscule. C’était la fête immense du feuillage. Les bêtes à bon Dieu, les scarabées, les libellules, les papillons, tous les beaux amoureux des haies fleuries, se donnaient rendez-vous aux quatre coins du bois. Ils y avaient établi leur petite république ; les sentiers étaient leurs sentiers ; les ruisseaux, leurs ruisseaux ; la forêt, leur forêt. Ils se logeaient commodément au pied des arbres, sur les branches basses, dans les feuilles sèches, et vivaient là comme chez eux, tranquillement et par droit de conquête. Ils avaient, d’ailleurs, en bonnes gens, abandonné les hautes branches aux fauvettes et aux rossignols. La forêt, qui chantait déjà par ses branches, par ses feuilles, par ses fleurs, chantait encore par ses insectes et par ses oiseaux. |
Émile Zola
Contes à Ninon
1864
Charles-Louis Quinart
Renaud dans la forêt enchantée
1819
Musée des Beaux-Arts, Bordeaux