Je suis l'homme des bois !
Mes amis ne sont plus les hommes,
J'oublie les tristes autrefois
Parmi mon cher royaume.
Le silence, la majesté,
Les parfums, les couleurs, les rêves
Et la troublante intimité
Des grands arbres riches en sèves,
Les matins bleus, doux et flottants,
La troupe vive et familière
De milliers d'êtres capricants
Qui n'ont plus peur du pauvre hère…
Quelles joies en cette lumière !
Je vais parmi les voletis
Comme le doux François d'Assise ;
Les espiègles lapereaux gris
À mes pieds ont leur table mise ;
Il n'est pas jusques aux ramiers
Qui ne volent à ma rencontre
Lorsque je surgis des halliers...
Même Seigneur renard se montre
Voisin possible et confiant
Et le sanglier, dans sa bauge,
Me renifle en insouciant
Lorsque je regagne ma loge.
Je sais la source au clair miroir
— Car le ciel dort en ses eaux bleues —
Où les biches, matins et soirs,
Viennent boire, depuis des lieues !
Y viennent aussi quelquefois
Les belles nymphes, les dryades
Et maintenant l'homme des bois
Est devenu leur camarade.
D'une d'elles j'eus un baiser
Tel, que mon âme en est brûlée !
Depuis, de mon Eden boisé
Toute la paix s'en est allée !
Octave Charpentier
Poésie, cahiers mensuels illustrés
Février 1932