(extrait)
III
Qu'au loin m'appelle la voix des oiseaux fous et sauvages,
Je resterai dans cette forêt de sapins.
Quand le vent souffle
Et bataille à travers la forêt,
Je l'entends au loin,
Fracas d'une mer perpétuelle.
Quand la pluie tombe,
J'observe des lames d'argent obliques
Qui descendent des pâles étangs du ciel,
Cernés de sombres feuillages.
Quand brille le soleil,
Je tresse des branches distantes en cercles puissants,
Je me balance au rythme des cimes cachées,
Je nage dans les mers profondes et bleues de l'air.
J'étreins l'écorce douce des nobles colonnes rouges,
Puis, à l'aide de pommes de pins disposées avec soin,
Je marque sur le cadran la marche des ombres
Jetées en diagonale dans l'après-midi.
Ce gazon n'est pas du gazon :
C'est un tapis de velours sec et doux,
Brodé de dessins bruns d'aiguilles et de cônes.
Ces arbres ne sont pas comme des arbres :
Ce sont d'innombrables ombrelles de pagodes,
Pourvues de plumes, raides, rebelles au vent,
Et balancées sur leur manche laqué de rouge.
Le soir, j'écoute le vent zézayer,
Tandis que les conflagrations du crépuscule
tremblent et se heurtent derrière moi,
Crénelures flamboyantes de la gloire
parmi les troncs d'ébènes carbonisés.
Dans la nuit, les ardents rossignols clameront,
Et lanceront leurs trilles dans le silence,
Ainsi que la voix des sirènes
Qui pleurent au fond de la mer.
Depuis longtemps la lune a englouti ce temple inachevé.
Des étoiles nagent comme des poissons rouges
loin au-dessus des voûtes noires.
Que l'aurore timide vole au loin pour me rejoindre :
Je resterai dans cette forêt de sapins
Car j'ai dévoilé la beauté,
Et tout ce qu'elle m'a murmuré dans le noir,
Je l'ai enfoui dans mon cœur.
À présent que la cime noire des sapins
se brise comme une vague épuisée
Contre le ciel gris, ce sont des tombes, des temples,
Des monuments, des autels allumés par le soleil pour moi.
John Gould Fletcher
Anthologie de la poésie américaine
par Alain Bosquet
Stock, 1956
III
Far let the voices of the mad wild birds be calling me,
I will abide in this forest of pines.
When the wind blows
Battling through the forest,
I hear it distantly,
The crash of a perpetual sea.
When the rain falls,
I watch silver spears slanting downwards
From pale river-pools of sky,
Enclosed in dark fronds.
When the sun shines,
I weave together distant branches till they enclose
mighty circles,
I sway to the movement of hooded summits,
I swim leisurely in deep blue seas of air.
I hug the smooth bark of stately red pillars
And with cones carefully scattered
I mark the progression of dark dial-shadows
Flung diagonally downwards through the afternoon.
This turf is not like turf:
It is a smooth dry carpet of velvet,
Embroidered with brown patterns of needles and cones.
These trees are not like trees:
They are innumerable feathery pagoda-umbrellas,
Stiffly ungracious to the wind,
Teetering on red-lacquered stems.
In the evening I listen to the winds' lisping,
While the conflagrations of the sunset flicker and clash
behind me,
Flamboyant crenellations of glory amid the charred
ebony boles.
In the night the fiery nightingales
Shall clash and trill through the silence:
Like the voices of mermaids crying
From the sea.
Long ago has the moon whelmed this uncompleted temple.
Stars swim like gold fish far above the black arches.
Far let the timid feet of dawn fly to catch me:
I will abide in this forest of pines:
For I have unveiled naked beauty,
And the things that she whispered to me in the darkness,
Are buried deep in my heart.
Now let the black tops of the pine-trees break like a
spent wave,
Against the grey sky:
These are tombs and memorials and temples and altars
sun-kindled for me.
John Gould Fletcher