S'il fallut que ces morts mûrissent
Dans la ténèbre des limons
S'ils fallut que ces morts pourrissent
Sitôt sortis de leur cocon
Qu'ils soient borgnes ou scrofuleux
Qu'ils soient ventrus ou rachitiques
Ces fils du diable et du bon Dieu
N'en sont pas moins le corps mystique !
Voici les minces les discrets
Qui jaillissent d'un puits sans fond !
Les boursouflés et les replets
Dans le vent maigre se défont...
Mais dites-moi les oubliés
Les mal-repus les mal-aimés
Et les princes de pauvreté
Et tous ces rois sans royauté
Dites-moi les simples les doux
Les sans remords les satisfaits
Dites-moi les ardents les fous
Et les larrons les imparfaits
Les sans amour et les sans gloire
Qui dérivent le long des heures
Et ceux qui n'ont pas de mémoire
Nus de rêves et nus de pleurs
Ceux que la vie n'a pas gardés
Ceux qui sont morts de solitude
Ils montent le long des étés
Dans un ciel de béatitude
Dites-moi dans quelle clémence
S'allongeront les âmes douces
Sous l'arbre éternel du silence
L'odeur des ombres et des mousses...
Robert Lorho
Si l'ombre cède
Gallimard, 1960