À Maurice Barrès.
Vous serez mes amis des dernières années, De ces jours dont le poids, fatal et meurtrier, Étouffe un cœur rempli d'illusions fanées, Qui ne sait plus souffrir et ne peut plus crier,
Arbres, vieux compagnons qui connaissez mon âme ! Vous qui m'avez appris tant de secrets divers, Et livré, sous votre ombre où dansent tant de flammes, L'énigme qui sommeille aux flancs de l'univers.
Je vous ai tant aimés pour la beauté robuste Dont vous parez la terre où tout mourrait sans vous Et ce que, tour à tour, vous nous montrez d'auguste, De sauvage et de fier, de puissant et de doux !
Je vous ai tant aimés pour l'émotion sainte Que faisait naître en moi, dans la rude saison, Votre mélancolique et fraternelle plainte, Unissant la douleur, l'orgueil et la raison.
Je vous ai tant aimés pour ce qu'a de sublime L'instinct qui tend vos bras vers le soleil levant, Pour tous les chants d'oiseaux tombés de votre cime, Et pour la symphonie immense dont le vent
Rien qu'en passant sur vous fait retentir le monde ! Nul ne vous a chéris d'une amour plus profonde ! Que de jours j'ai passés à rêver dans les bois Loin de la meute ardente aux féroces abois ?
Je m'y sentais l'ami, le frère des grands chênes, Promis aux bûcherons pour leurs coupes prochaines. Que de nuits, l'âme triste, inquiet, malheureux, M'enfonçant au hasard des taillis ténébreux,
Pour vaincre mon angoisse et dissiper ma peine, Pieux, ai-je invoqué, pacifique et sereine, La sagesse, qui vous fait aimer votre sort ? Avec le calme fier des âmes résignées,
J'accepte la souffrance et ne crains plus la mort, Car vos nobles leçons en moi se sont gravées. Éblouissant, l'été dore mon horizon, La vie est une fête où mon être s'exalte,
Et je n'aperçois pas la porte de prison Qui se dresse au tournant de la suprême halte. Encore quelques jours d'ardeur et de gaîté, L'âge transformera mon orgueil en faiblesse,
Et je ne serai plus, homme désenchanté, Qu'un vieillard impotent que tout irrite et blesse. Beaux arbres, rendez-moi l'amour que j'eus pour vous ! Parez mes derniers jours de votre éclat si doux. Enivrez-moi de paix, et faites que je sente Mon cœur s'éteindre au bruit d'une forêt qui chante. |
George Bonnamour
La Splendeur des Choses
Poésie : cahiers mensuels illustrés
Imprimerie d'art "Le Croquis", 1927

Photographie : Georges-Louis Arlaud
Vers 1925