Je commencerai par l'arbre. Parce que tout commence,
et se termine, par l'arbre. L'arbre est le plus grand. Il a été
planté bien avant les autres. Je ne connais pas son âge exact.
Peut-être trois cents ou quatre cents ans. Il est très vieux
et très puissant. Il a essuyé de terribles tempêtes, a résisté
à des vents déchaînés. Il est vaillant.
L'arbre ne ressemble à aucun autre. Il a son propre rythme.
Le printemps débute pour lui lorsque ses pareils sont
déjà en fleur. Vienne la fin avril et les nouvelles feuilles
apparaissent sur les branches en hauteur et au milieu.
Ailleurs, il a l'air mort. Noueux, gris et anémique. Il aime
bien faire semblant d'être mort. Il a cette intelligence. Et puis
soudain, comme un énorme explosion, tous les bourgeons
s'ouvrent. L'arbre triomphe avec sa couronne vert pâle.
Personne ne peut me trouver quand je suis là-haut. Le silence
ne me dérange pas. Ce n'est pas vraiment du silence,
car il contient une multitude de petits bruits. Le friselis
du feuillage. Le gémissement du vent. Le bourdonnement
d'une abeille. Le cri-cri des cigales. Le battement d'une aile
d'oiseau. Quand le mistral se lève et balaie la vallée,
les milliers de branches mugissent comme la mer. C'est là
que je venais jouer. C'était là mon royaume.
Tatiana de Rosnay
Sentinelle de la pluie
Traduit de l'anglais par Anouk Neuhoff
2018