La chapelle se dresse au seuil de la forêt.
Quatre fois centenaire, elle s'écroulerait
Et son toit recéleur de hiboux et ses pierres
Iraient se disperser au milieu des bruyères
Si pour la soutenir mieux que ses contreforts
Elle n'avait l'appui vivant des siècles morts.
On voit par le guichet de la porte des branches
Au-dessus de l'autel ceindre de leurs fleurs blanches
Le retable massif où jadis furent peints
Sur un fond d'azur clair des anges et des saints.
Un toit en appentis éloigne de l'entrée
De l'aube jusqu'au soir la lumière sacrée
Et sur tout l'ombre amasse une telle terreur
Que la forêt s'est écartée avec horreur.
J'aime venir rêver près d'elle, chaque automne
Et partager l'effroi de l'herbe qui frissonne,
Rendre par la pensée à ces murs, à ces bois,
Leur implacable aspect des heures d'autrefois,
Quand des lépreux en troupe agitant leur crécelle
Par les prêtres étaient conduits à la chapelle
Avant d'être enfermés dans le blanc lazaret
Qu'isolait du restant des hommes la forêt.
La gangrène a gagné les arbres. Des futaies
Ont hérité leur mal et perpétuent leurs plaies.
De kystes effrayants les troncs sont bosselés
Et la tumeur s'étend jusqu'à leurs fronts pelés.
Aucun oiseau jamais ne trouble le silence.
Les hiboux sont muets ; et quand l'un d'eux s'élance,
C'est que la nuit projette encor sur le toit bleu
La malédiction effrayante de Dieu.
Or, à cette heure trouble où le soleil se penche,
Mon rêve a fait revivre, un soir, la maison blanche.
La forêt toute entière était lourde de sang.
Les feuilles sur le sol glissaient en bruissant,
Des nuages couraient, et les herbes sauvages
Se balançaient avec des rumeurs de feuillages
Tandis qu'éperdument sur le morne étang bleu
Des insectes traçaient de grands cercles de feu.
Soudain, dans le chemin qui mène à la chapelle,
J'entendis résonner une aigre taravelle,
Puis deux, puis trois.
Cela faisait le même bruit
Que ces insectes fous de voir tomber la nuit.
Et lentement, mon cœur battant dans la poitrine,
Longs, décharnés, vêtus de la grise esclavine,
Leurs doigts gantés faisant retentir l'hymne affreux.
Je les vis trois par trois descendre...
Les lépreux !
C'étaient eux. Ils allaient, pâles comme des marbres,
Et je reconnaissais sous leur habit les arbres,
Et sur leurs mains et sur leurs fronts stigmatisés, ,
Les ronces s'inclinaient pour mettre des baisers.
Libera nos, chantaient à leurs côtés des prêtres
Dont la voix ressemblait à la rumeur des hêtres.
Amen, répondaient-ils au milieu de sanglots
Qu'on eût dit arrachés aux branches des bouleaux.
Et leur procession frémit devant les portes
Avec ce bruit d'adieu que font les feuilles mortes ;
Ils étaient là, rangés devant le lazaret ;
Un moine leur donna lecture de l'arrêt
Qui les emprisonnait ici, la vie entière,
Une pelle à leurs pieds mit des mottes de terre,
Et, gravement, le front baissé, mais l'air serein,
Ils pénétrèrent dans la chapelle, un par un.
Jean-Dars
Nos poètes : revue mensuelle illustrée
décembre 1924