La forêt voudrait bien dormir. Tous ses buissons,
Qu'un orage incessant remplit de noirs frissons,
Gémissent, maudissant les atroces tempêtes
Que domine le cri farouche des trompettes.
Elle assiste au carnage et le trouve hideux.
Les arbres n'aiment pas qu'on se batte autour d'eux.
Leurs branches inclinaient jadis une ombre douce
Sur le rêveur assis à leur pied plein de mousse
Et s'égayaient de voir sous le feuillage vert
La candide blancheur de quelque livre ouvert.
Mais cette chasse immense et qui toujours aboie,
Où l'homme est plus cruel que la bête de proie,
Cet hallali sans fin qui rougit tous les gués
N'a pas l'assentiment des chênes fatigués.
Les vieux arbres voudraient dormir. Ils font, dans l'ombre,
Des vœux pour que s'éteigne enfin cette toux sombre
Qui, du soir à l'aurore et de l'aurore au soir,
Crible de ses crachats de fer le hallier noir.
Ils souffrent et voudraient entendre dans leur sève
Chanter tranquillement leur vieillesse et leur rêve.
Et leur plainte s'emplit de regrets infinis...
Les oiseaux effrayés ont déserté leurs nids...
Ils pensent aux printemps rieurs des bucoliques,
Aux rossignols des nuits d'été mélancoliques,
Aux longs silences blancs de l'hiver, puis encor
Aux automnes dorés qu'émeut le son du cor...
Seuls, les lauriers n'ont pas sommeil ; et les rafales
Sonnent dans leur feuillage en clameurs triomphales.
Ils s'enivrent entre eux d'évoquer dans la nuit
Leurs rameaux en couronne autour d'un front qui luit,
Et, plus sont furieux et plus grondent les chênes,
Plus ils ont de fierté de leurs gloires prochaines.
Le sang hardi qui bat aux tempes des héros,
Quand ils l'écouteront leur rendra le repos,
Les lauriers orgueilleux ne dormant leurs bons sommes
Qu'aux acclamations frénétiques des hommes...
(Le Gaulois, 20 décembre 1914.)
René Fauchois
Les poètes de la guerre : recueil de poésies parues depuis le 1er août 1911
Berger-Levrault, 1915