Un autre de mes plaisirs à Pékin devint vite une habitude : j'allais me promener dans le Jardin impérial, Yuhuayuan. Il existait là un arbre magique, un tronc de cyprès dressé comme une cathédrale datant, disait-on, de l'époque Ming ! À le contempler, il racontait notre histoire. Souvent, on voyait un ancien méditer sur un banc, à côté de lui, comme s'il se chargeait, encore et encore, de ses énergies, du souffle vital qui émanait de la matière même de l'arbre. Formation bizarre, insolite, le vieux tronc noueux était façonné par les poussées telluriques, les vents, l'érosion et les caresses humaines de plusieurs siècles... On pouvait imaginer, à certains endroits, les mouvements d'une mer agitée de mille et une vagues poussées par la tempête. L'ancien paraissait, en quelque sorte, se nourrir de la longévité du cyprès. Il se recueillait comme devant un temple sacré, un microcosme révélateur de l'histoire de la matière. Un jour, nous nous retrouvâmes tous les deux sur le banc. En le contemplant, le Chinois me dit tout bas : « Mademoiselle, on apprend à vivre, à vieillir avec ce que la nature nous a donné, comme à lui, à la naissance. » Après un long silence, il reprit avec insistance : « Mademoiselle, il faut cultiver le principe de vie qui est en nous. » Je n'ai plus revu le vieil homme. Mais j'ai souvent fait le pèlerinage pour saluer l'arbre en songeant à ses propos. |
Fabienne Verdier
Passagère du silence
Albin Michel, 2003