Notre destinée s'inscrivait dans les cercles d'aubier de tel arbre voué à nous survivre en quelque recoin inaccessible de la forêt. Les sentiers s'accouplaient, engendrant des trouées revêches hérissées de ronciers par où giclait le sang noir des sangliers. Le temps, avaleur de sable, nous précédait parmi les bruyères, les girolles, tandis que nous longions des béguinages de tournesols, des nécropoles de mantes religieuses et maintes fontaines d'ombres dont le ruissellement — peut-être vénéneux — attisait la soif des piverts. De loin en loin, la pluie nous donnait de ses nouvelles, encensant la feuille ombreuse et l'écorce pensive. Quelle enfance se corrompait dans l'herbe, mêlée aux fruits rouillés qu'évidaient les fourmis ? Il arrivait qu'un serpent, divinité sagace chargée de repasser en boucle l'univers, s'élevât tout à coup au zénith entre les serres d'un rapace. Rapt inouï, coup de filet des dualités fécondantes ! Car les soubresauts du reptile traçaient sur fond d'azur des hiéroglyphes ésotériques à l'image de notre quête fabuleuse au plus dru du Buisson ardent. Ainsi se révélait, sous les plissements accumulés du réel, le pointillé de la condition humaine : agonie différée — mais pimpante, sonnante, palpitante — hantée de faux-fuyants et de transcendances. Et nous progressions sous l'arche des frondaisons, illuminés de l'intérieur malgré l'opacité des sentes avides de rencontrer au détour de l'abîme nos corps surnaturels, rescapés de la mort exiguë. |
Marc Alyn
Proses de l'intérieur du poème
Le Castor Astral, 2015