L'aube encore. Cette heure miraculeuse où la nature est un murmure. Elle marche, sans direction, sans but, sous la toile rose du ciel. Le long de la route dort un jardin sauvage. Des fleurs délicates y déposent des touches de couleurs, se mêlant aux herbes et aux graminées. Elle enjambe le petit fossé, avance. Son cœur palpite d'un sentiment neuf, à la fois calme et puissant. Les paroles d'Antigone à sa nounou reviennent la bercer : « C'est beau un jardin qui ne pense pas encore aux hommes.» Un petit monde où seule la sève décide. Le vent léger dans les cheveux. Lucie avance. Plus loin, elle découvre une pierre couverte de mousse et de lichen, cachée près d'un tronc. Sa main s'y arrête ; râpeux est le toucher, d'une fraîcheur agréable. Elle regarde autour d'elle, ferme les yeux quand un premier rai de lumière balaye son visage. C'est doux, ouaté. Et Lucie avance. Ici et là, quelques coquelicots dansent comme des demoiselles timides. Un criquet chante. Plus loin, une mésange peut-être. La nature de toute éternité. Lucie avance. Elle ne sait pas quoi, mais au fond de ce rectangle sauvage quelque chose l'appelle. Ses mains caressent les fleurs de carottes, ses mollets accueillent les griffures des chardons. Le soleil diffuse une douce clarté. Chaque chose est à sa place. Chaque être a sa place, enfin. C'est alors qu'elle le voit. Un peu à l'écart des autres, le tronc noueux, tressé. Les feuilles d'un vert argenté font une musique au vent, symphonie silencieuse et solitaire. Elle approche. Des arbres qui peuvent vivre mille ans, dit-on. Elle pose sa main sur l'olivier. Demeure immobile. Il n'y a rien d'autre que lui et elle dans le matin méditerranéen. Son écorce. Sa peau. Elle reste ainsi quelques instants. Puis reprend sa marche, sereine, toujours droit devant elle. |