La racine de l’Odyssée, c’est un olivier. Cet olivier, Homère, j’en suis sûr, l’a rencontré dans un de ses voyages, et pourquoi pas à Ithaque même ? Quel bel arbre ! Aussi fier, aussi pur, aussi radieux, j’allais dire presque aussi saint, dans la force de sa fibre tendue, que l’un de ces êtres parfaits, de ces irréprochables plants humains, dont l’art hellène a perpétué au milieu de nous le témoignage. On parle d’un marin qui jette l’ancre, dit le poète, et moi, je vois ici un être vivant qui est capable de m’enraciner pour à jamais avec lui à ce coin de propriété. De quelle intensité il est attaché à ce qu’il aime et quelle éloquence de ce feuillage d’argent dans la lumière à parler de ses racines ! Arbre sacré, enfant de Zeus, médiateur entre la substance et l’azur, ah ! Je le sens ! Désormais ce n’est plus à une autre industrie que la tienne que je demanderai cette grâce qui est l’huile ! Ah ! Si les dieux m’avaient accordé une autre épouse que celle-ci invisible, la Muse, en qui m’est dénié tout ce qui fait la vie des autres hommes, c’est à ton fût, immortel, que je voudrais amarrer la couche nuptiale. De tes branches je ferais mon toit et j’en enclorais l’ombre par un mur. Nul dans ce sanctuaire dont tu es l’âme ne serait admis à pénétrer que moi seul et celle que j’aurais choisie. Et si le sort, un jour, pèlerin d’un rêve inextricable, ne refusait pas au bâton de l’aveugle ce qu’il accorda à la rame du navigateur, c’est là que m’attendrait, inviolablement fidèle entre les prétendants à l’époux, Pénélope, ma patrie ! |
Paul Claudel. 9 juillet 1947
Paul Claudel
Extrait de la Préface à L’Odyssée
traduite du grec ancien par Victor Bérard
Gallimard, 1949