À Madame Jeanne de Sépibus-de Preux
Arbre qui, de sa place,
Fièrement arrondit
Tout autour cet espace
De l'été accompli,
Arbre dont le volume
Rond et abondant
Prouve et résume
Ce que l'on attend longtemps :
J'ai pourtant vu rougir
Tes feuilles en devenant vertes :
De cette pudeur offerte
Ta magnificence, certes,
Les veut à présent punir.
Arbre, toujours au milieu
De tout ce qui l'entoure —,
Arbre qui savoure
La voûte entière des cieux,
Toi, comme aucun autre
Tourné vers partout :
On dirait un apôtre
Qui ne sait pas d'où
Dieu lui va apparaître...
Or, pour qu'il soit sûr,
Il développe en rond son être
Et lui tend des bras mûrs.
Arbre qui peut-être
Pense au-dedans:
Antique Arbre-maître
Parmi les arbres servant !
Arbre qui se domine,
Se donnant lentement
La forme qui élimine
Les hasards du vent :
Plein de forces austères
Ton ombre claire nous rend
Une feuille qui désaltère
Et des fruits persévérants.
Muzot, écrit le 12 juin 1924
Rilke
Poèmes et Dédicaces
1920-1926