13 septembre 2017 3 13 /09 /septembre /2017 18:58

 

Pour le douzième anniversaire du 4 juin

 

 

 

Je suis une planche

Une planche rectangulaire épaisse de trois centimètres et demi

Une planche abandonnée à son sort, laissez-moi

Faire la rencontre d'un jeune homme

Dans la confrontation des tanks et des chairs

Les fines veines de mon bois ont conservé

Cette aube ahurissante

Cette aube sur l'impasse à l'approche des balles

 

Quand l'avenue Chang'an se convulse

Je suis prise de tremblements

Les chenilles d'un tank ont écrasé un de mes angles

Les veines du bois lâchent sous la pression

Un cri déchirant

Je veux m'échapper je veux m'enfuir

Je le sais l'acier est plus dur que moi

Mais... je... ne peux pas !

 

À côté, non loin de là

Un amas de corps indistincts

Et trop près de moi, une tête

Perforée au milieu d'un grand trou

Très profond très noir, le sang

S'est infiltré au cœur des veines du bois

Mais qu'est-ce que

Ce blanc neigeux comme du pâté de soja ?

 

Qu'est-ce que c'est ? Je ne sais pas

Je pense qu'il est plus courageux que moi

Comme le rocher têtu où je suis née

Et pourtant il est plus fragile plus tourmenté que moi

Pareil aux pousses d'herbe auxquelles je sers d'abri

Je veux le sauver

 

Ceux qui partagent son destin

Fuyez fuyez le plus vite sera le mieux

Ils sont plus jeunes que moi

Face aux chenilles des tanks

Ils sont plus fragiles que moi

Fuyez aussi loin que possible

Jeunes pousses encore immatures

 

Viens ! Toi jeune homme

Qui n'as déjà plus la force de t'enfuir

Allonge-toi sur mon corps plein de crasse

Je ne suis

Qu'une planche abandonnée

Trop faible pour résister à l'écrasement de l'acier

Mais je veux te sauver

Que tu sois trépassé ou qu'il te reste un souffle de vie

 

Viens ! Jeune homme

À la tête défoncée d'un grand trou

Dans tes yeux grands ouverts

Je vois la folie de l'assaut de cet amas d'acier

Ces soldats qui conduisaient les tanks

Étaient même plus jeunes que toi

 

Viens ! Jeune homme qui tantôt

Main dans la main avec tes camarades

Face aux gueules noires des canons des fusils

Levait les bras

Ferme tes yeux qui contemplaient le firmament

Et de ton sang de ta cervelle blanche

Colle contre moi les restes de tes membres

Ensemble unis

Fermement

 

Je veux prêter l'oreille

À ce que disent les derniers battements de ton cœur

Je veux sentir

Sous ta peau déchirée

Dans le sang qui se refroidit

Les derniers signes de ta température

Et si possible transmettre cette chaleur

À ton amie déchirée de tourments

 

Viens ! Jeune homme ouvert

Aussi largement que le ciel

Sans pluie sans nuages sans vols d'oiseaux

Et si possible

Laisse-moi te ramener chez toi

S'il n'est plus temps

Restons donc là

Sans bouger, blottis l'un contre l'autre

Réduits ensemble en poussière par l'acier

Nous nous glisserons dans les fentes de l'asphalte

Par les rues de Pékin et les Six Ministères

Et sous les sols de l'avenue Chang'an

En devenant un lierre

Gardien de la mémoire

 

Viens ! Jeune homme aussi puissant que l'eau

Si tes proches sont d'accord

Fais de moi ton simple cerceuil

pour t'accompagner en terre

Où mes racines ma famille puisent dans les profondeurs

En attendant sous le sol

Le jour où tu pourras fermer les yeux en paix

Mûri dans une forêt

 

 

 

                                          Le 30 mai 2001, à la maison à Pékin

 

 

 

Liu Xiaobo

Élégies du 4 Juin

Traduit du chinois par Guilhem Fabre

Gallimard, 2014

SG

 

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