Les arbres grandissent et meurent sans qu'on s'en aperçoive. J'ai promené le bout de mes doigts sur les ourlets fins de l'écorce. J'ai glissé mon ongle sur le plat de l'incision. Des lignes droites, courtes, la longueur de deux phalanges, pas plus. Le hêtre gris ne saigne plus depuis longtemps. Ses cicatrices sont anciennes. Il y a d'autres arbres alentour, des chênes dont l'écorce rugueuse et crevassée n'a pas le lissé de la peau. C'est pour cela que le hêtre a été choisi, pour cette douceur. Je me suis laissé glisser le long du tronc et j'ai fermé les yeux. Je me suis souvenu que ma femme me racontait qu'étant petite, elle et d'autres fillettes venaient dans ce bois. Elles ouvraient grands leurs bras et tentaient d'enserrer les troncs en collant leur joue sur l'écorce. Elles les embrassaient aussi. Quand ma femme a-t-elle cessé d'embrasser les arbres ? Elle ne me l'a jamais dit.
C'est la légère pointe d'un couteau qui a gravé ces entailles. Je pourrais les refaire car ma main a gardé en mémoire le geste sûr, rapide, du tracé.
J'ai tâté la poche de mon pantalon. Le canif est là comme un lest que je n'ai pas touché durant toutes ces années. Je l'ai pris et l'ai ouvert, mais nous n'étions pas au printemps et ma femme n'était plus à mes côtés riant et m'embrassant dans le cou. L'un après l'autre, j'ai entaillé tous les hêtres. J'y ai incisé non pas son initiale mais des courbes, des signes que moi seul lis. J'ai scarifié son sourire aussi et ses yeux et sa bouche, les traits de son visage, un sur chaque écorce. Puis, je les ai embrassés.
|
Hélène Lanscotte
Simplement descendu d'un étage
Cheyne Éditeur, 2002