1
Une pousse de vert
Oui ce serait le début d’une palabre sur les arbres, d’une parole autour de l’arbre ou à travers lui. Sans tourner autour du pot, on peut se demander quel sens donner à l’arbre. Vais-je donc remonter au déluge dans ce fameux jardin où se trouvait, dit-on, l’arbre majuscule, celui du bien et du mal, de la connaissance et du fruit défendu ? Enfer et damnation ?
Si je voulais, je pourrais fatalement le retrouver en remontant mon arbre généalogique, à condition, bien sûr, de passer outre ma naissance. Mais n’allons pas si loin. Méfions-nous de l’hybris puisque Dieu le Père est dans les parages. Alors pour ne parler que du père dois-je chercher humblement mes racines ? Henri, mon géniteur, puis Eugène, le père du géniteur en question ou plutôt Eugenio, ce qui nous entraîne chez lui en Italie du côté des collines de Toscane où les arbres, les cyprès surtout, sont sublimes: mais ici je prends des chemins de traverse. Et d’ailleurs ce n’est pas une bonne idée cette recherche eugènanalogique car elle s’arrête là, en carafe ! Le reste se perd dans un fouillis de branches, dans des frondaisons inextricables, dans le maquis de mon histoire et il me faudrait sans doute une grande Hache pour y accéder. Non, ce qu’il faut que je trouve c’est mon arbre, mon arbre analogique, si l’on veut, ou mon arbre d’écriture.
2
Des racines, un tronc, des branches, des feuilles…
Allons donc à l’essentiel au risque de passer pour un benêt : des racines, un tronc, des branches, des feuilles. Francis Ponge me dit que c’est inévitablement toujours la même feuille et qu’on ne sort pas des arbres par des moyens d’arbres alors je la tourne, la feuille, pour y voir simplement inscrit l’arbre en toutes lettres. Du coup, l’arbre, à la lettre, pourrait ressembler à un accent circonflexe et ce serait par exemple un hêtre surtout si un oiseau venait voleter vers lui. Un hêtre, nous ne sortons décidément pas de notre propos initial ! Pas question non plus de pêcher, l’arbre fruitier bien sûr, dans ce jardin des générations, puisqu’on ne parle pas de corde dans la maison du pendu, — disons un chêne et n’en parlons plus, même si on laisse de côté pas mal d’arbrisseaux.
Une phrase se mettrait alors à sortir de terre : « Les arbres ponctuent le paysage ». Je pourrais la figurer sous forme d’arborescence, à la manière dont procédait naguère la linguistique générative et transformationnelle mais ça nous avancerait à quoi ? Ma prose appellerait plutôt des points d’exclamation et d’interrogation — non à propos de ma phrase mais de la forme des arbres — et alors ce serait des peupliers et des cyprès (pas uniquement florentins cette fois) qui se mettraient à pousser sur la page. Ce serait mieux que rien !
3
Mon arbre pourrait vous en faire voir
Bon, mais je me rends compte, un peu tard, que mes arbres sont en « noir et blanc », comme à l’époque du cinéma muet et évidemment burlesque, bien que les arbres ne prêtent pas à rire, sauf s’il est question de Newton qui, allongé sous un arbre, reçut, paraît-il, une pomme sur la tête; mais laissons les planètes à leur gravité.
Soyons plutôt résolument modernes : qu’est ce qui m’empêche de donner de la couleur à mon arbre, de le colorer, de le colorier voire de le peindre ?
Mon arbre (oui, le singulier prend le meilleur) pourrait vous en faire voir. Là encore soyons modestes, évitons le « vomissement de vert » mais il y a pourtant ce vert sombre à cause de ses feuilles ou du crépuscule car c’est un cerisier qui a poussé dans ma mémoire. Il provient du jardin d’un autre géniteur, André, mon homonyme, mon analogue en quelque sorte, celui de ma génitrice, Victoria. Aucune victoire pour autant mais une profusion de points rouges et noirs dans le feuillage qui me font signe que je dois m’arrêter sur cet arbre et peut-être sous lui. Je m’y adosse donc, m’y abrite. Oui, finalement, mon arbre ce serait un cerisier, Jaccottet et son Cahier de verdure y sont, sans doute, pour quelque chose. Un arbre aux feuilles métalliques et aux fruits rouge sang ! Mais n’ayez pas peur, il invite à la cueillette. On s’exécute. On n’est pas de bois !
André Bellatorre 28 mai 2012
|