Je suis le cerisier aux branches basses,
Aux veines saillantes, aux muscles, sous la peau vieille,
Décharnés. L'extrémité de mes bras tremble, un sang gommeux
Et transparent s'écoule de ma chair blessée. Le vent
Panse mes plaies d'un geste trop rapide, mais sa caresse
Est douce à mon feuillage.
Je tends mes doigts aux flûtes de la pluie,
Et quand Novembre couche à terre ma parure,
Je guette dans la nuit le signe proche d'une étoile.
J'ai oublié l'été, l'automne se retire. Il faut pour tant de fruits
Que se meurent les branches, telle est la loi de rédemption
Dans la tombe secrète et grave de la terre. Les feuilles tombent,
Est-il venu le temps de gloire pour la mort, son règne sur les champs ?
Les heures s'accomplissent au gré de l'eau qui file,
Les vergers lèveront leur panier vide encore. La campagne
N'ose pas accueillir la promesse à tant de signes éclatants : fulgurations fébriles,
Allongement du jour, commémorent l'éclair qui brisa portes et tombeaux.
Qui marche sur l'harmonie chétive des pétales ? Qui traverse
Le temps et la matière aveugle de l'étendue ? Que cherchez-vous,
Volages vents de peu de foi, fleuves instables, miroirs
Du lac où l'eau boueuse est infestée d'indociles pinceaux ? Écoutez
Qui s'éveille : là-bas, quelqu'un vient de vaincre la mort, une secousse d'aube
A jailli de la nuit. Rayons avides sous l'argent des fleuves, les poissons
De toujours savent l'ordre des nuits
dans le silence, l'oiseauDans le nid de l'aurore exalte sa liesse, et le soir la chuchote
En ce murmure impénétrable où le secret se dit, mêlé d'ombre et de feuilles,
Tandis que les paroles se dispersent. Nous assistons
Aux changements de la grande saison sans comprendre, ni voir
Se revêtir les arbres de surplis. Une cérémonie
Dans le consentement de la matière.
L'argile se souvient des vestiges sacrés, lorsque l'homme s'éveille
Pour la première fois. Le fleuve, que sa face,
Sur l'eau de l'origine s'est penchée. Connaissance
Terrible des glaciers, des roches hautes, des lacs de l'altitude.
Secret ravissement des nues : tout retentit du geste
Qui arrache à la terre une conscience vive.
Empreinte de grandeur, fragile mémorial des ces commencements
Où plane la lumière d'Élohim
œu,
Adoptés seulement, fils promis à l'outrage, puisque le temps
Ne nous est pas soumis, mais nous arrache
Les fibres de l'ardeur native : mort, tu n'as pas de victoire.
Je suis plus assuré que le rocher qui n'entend pas le cri.
Le rien sera porte-étendard, et le printemps, dans le jardin,
Comme l'ange au tombeau, interroge les femmes :
Qui cherchez-vous ? Je suis
Par la grâce de qui se lève et non selon ma loi.
Celui qui dresse à l'Orient sa main pour éveiller l'aurore
Qui m'éveille, a dépouillé le jour de ses ténèbres.
Et la neige annonçait les transparences de la nuit,
La neige étincelait d'aube et de fleurs : un signe pur.
Blanche est ma nuit très blanche, comme la robe de l'archange,
Au jour de la joyeuse annonce au secret du verger.
En moi un peuple mort
Se lève et salue l'aube, et quand le figuier sec
N'est plus, il a fait que je suis.
Philippe Delaveau
Le Veilleur amoureux
précédé d'Eucharis
Gallimard, 2009